C'était enfin le moment tant attendu de l'entrainement virtuel d'Infinite Project. On lui avait annoncé il y avait quelques jours qu'il serait appelé pour faire équipe avec un "doppeldanger" lors de cette session dangereuse. Tant mieux. On n'est jamais mieux servi que par soi-même et avoir deux personnes comme lui était un véritable atout pour réussir la mission. Seulement voilà, il connaissait les chacals qui programmaient les entrainement et par extension, il savait qu'ils étaient rarement faits pour être réussis. Le but serait donc de faire au mieux et de donner tout ce qu'il avait comme s'il était en situation réelle. C'était aussi ça qu'on attendait de lui : ne pas négliger la mission parce que c'était un entrainement. Obéir aux ordres et accomplir la mission étaient ses seules priorités. Lorsqu'il vit la jeune femme qui l'accompagnerait, il sourit intérieurement. Sergent-Chef Hallsteinssen, une aubaine parmi les recrues. Il la salua poliment tandis que les explications résonnaient dans la salle grise. Puis tout changea. Sable, cailloux, makis, encore plus de sable et un vent chaud. Même s'il était habitué à ce genre de climat grâce à son expérience, il ne pouvait le trouver agréable. Lorsque leur véhicule apparut avec tout son contenu, Wilhelm se tourna vers sa camarade.

"Je suis content de vous avoir à mes côtés, Sergent-Chef. Vous prenez les commandes du véhicule ?"

Bien qu'il préféra qu'elle conduise, il lui laissait le choix. Si elle ne se sentait pas confiante dans son rôle, la mission risquerait d'être compromise.

L’entrainement virtuel était annoncé pour aujourd’hui. Agetha troqua son tailleur-jupe pour une tenue plus adéquate, comme une paire de pantalon et des bottes. Au lieu du traditionnel chignon, elle avait tressé ses longs cheveux pour ensuite les cacher sous une large veste ornée de tache militaire. S’entrainer avec le Lieutenant Ashford n’était pas rien : Son tempérament travailleur, sa réputation d’armoire à glace ainsi que ses compétences sur le terrain étaient l’idéal.

Lorsque le paysage ocre et orangé apparut autour d’eux, le sergent pensa immédiatement à la chaleur qui y serait reliée. Horrible chaleur qui s’abattrait plus fort que les balles sur sa tête blonde. Agetha glissa sur ses épaules et autour de sa taille son équipement, un pistolet avec des munitions ainsi qu’un couteau. À l’apparition du véhicule, la militaire s’en approcha et vérifia le matériel à son bord. Sur un ton froid, mais terriblement habituel venant d’elle, la jeune femme répondit à son coéquipier :

« Bien entendu, Lieutenant. »

Pas plus, pas moins. S’équipant d’une arme un peu plus proéminente qu’un simple pistolet, elle se glissa à bord de la jeep et attendit que Wilhelm la rejoigne. Durant ce temps, Agetha étudia le véhicule, ses fonctions et capacités. Elle était un soldat de bureau, pas de terrain. Heureusement qu’il y avait ces entrainements, pour se mettre dans le jus de la guerre !

« Est-ce qu’on tire à vue ? »

Il n’y avait pas l’excitation propre aux élèves lorsqu’il s’agissait de tirer partout, pas même de déguout devant les armes. Juste une machine qui se programmait.

Elle allait droit au but et Wilhelm aimait ça. Sa question était assez bourrine mais était justifiée dans le contexte. La question fit deux fois le tour dans sa tête alors qu'il se dirigeait vers la portière côté passager. Sa réponse ne se fit pas attendre et c'est alors même qu'il prenait place dans le véhicule que sa voix s'éleva.

"Non, on essaie d'être les plus discrets et rapides possible. Éteins le moteur dans les descentes, évite de dépasser la troisième et quoi qu'il arrive, essaie de tourner le moins possible pour éviter de soulever des nuages de poussière. Voilà la carte, on part sur une base en ligne droite le plus loin possible des zones rocheuses et des coins d'eau. On esquive les points de population qu'on peut esquiver et on prend sur nous même pour les ressources. On a le minimum vital, à savoir deux rations et deux gourdes. Le relais passera au bout d'un moment au milieu d'un village miné, mais je pense qu'on aura des paquets cadeaux bien avant. On ne suit pas les routes, on passe derrière les habitations et à moins de ne pas pouvoir faire autrement, on ne sort nos armes à aucun moment. Le premier plan en cas d'attaque ennemie, c'est d'accélérer. On assurera la communication radio pour chaque élément suspect en vue ou chaque zone trop vaste qui semblerait diverger de la trajectoire initiale. Autre détail, je tiens à ce que la communication entre nous soit sans faille. Chaque élément que chacun repère doit être communiqué et noté sur la carte. Des question ? Si non, nous partons tout de suite."

Apparemment rien d'autre à ajouter pour le moment... Voyons ce que l'avenir leur réservait !

Elle hochait mécaniquement la tête tout en écoutant les instructions de Wilhelm. Agetha fut un peu déçue de ne pas avoir l’autorisation de tirer à vue, elle trouvait cela beaucoup plus facile à suivre. Tant pis. La militaire ne jeta pas un coup d’œil au lieutenant, toute son attention était portée sur la carte ainsi que ses paroles. L’agente mémorisa le parcours, où se situait quoi. Dans le besoin, elle demanderait des explications à son supérieur.

« Je n’ai aucune question, nous partons. »

Elle démarra le jeep, fit les réglages qu’il y avait à faire avant de partir et appuya sur l’accélérateur. Agetha donna d’abord un bon coup et traça un cercle dans le sol orangé avant de se remettre dans la bonne trajectoire. Rien que pour s’habituer à la machine avant de se lancer. Comme prévu, elle ne dépassa pas la troisième vitesse et ses yeux restèrent plantés sur la route.

[je te laisse faire le jet de dé, dude !]

Et la jeep démarra dans un bruit de moteur qui contraria intérieurement le lieutenant. Il se fit la promesse de demander à la section scientifique d'intégrer un système de véhicule électrique ou au moins silencieux pour les unités de cavalerie. Il ne comptait plus le nombre de missions où toute la difficulté résidait dans le simple fait de ne pas se faire repérer lors des déplacements véhiculés. Mais bon, c'était seulement le plan A. Il reverrait ses exigences à la baisse selon le déroulement des opérations si besoin. Après tout, la discrétion était rarement récompensée par cent pour-cent de réussite.
Braqué sur la ligne d'horizon, Wilhelm jetait fréquemment des coups d'oeil dans toutes les directions à l’affût du moindre signe d'hostilité. Tout se passait bien pour le moment et à part les traditionnels "RAS" signalés au pilote et à la radio, aucun bruit ne s'élevait du côté du lieutenant. Du moins, jusqu'à ce que quelque chose dérange méchamment l'instinct de l'éclaireur. Quelque chose n'allait pas. Il communiqua immédiatement ses craintes.

"Quelque chose se trame... Ralentis un peu le temps qu'on puisse confirmer la source des problèmes."

Il se redressa jusqu'à s'asseoir sur le rebord de la fenêtre, le dos face à la falaise qu'ils longeaient depuis le début de l'aventure. Muni de jumelles, il arpenta le décors de long en large dans l'espoir de dégoter quelques indices. Après quelques allers-retours, il se rassit dans la jeep et annonça le verdict [Jet de dé] :

"GLISSEMENT DE TERRAIN ! Accélère, on doit devancer l'affaissement !"

Il ne s'y était pas attendu. La terre avait eu l'air stable depuis leur départ. Confiant envers les compétences de son binôme, il ne put que penser à l'origine de l'incident. Pouvait-il être d'origine criminelle ?

Un coup de tonnerre se fit entendre et le Lieutenant Ashford réagit au quart de tour. Agetha ne le regarda pas, gardant ses yeux vers l’horizon, mais allégea son pied sur l’accélérateur. Si cette mission ne tenait qu’à elle, la militaire aurait appuyer le plus fort possible sur le champignon et traversé le terrain à toute vitesse. Malheureusement, la jeep était bruyante lorsqu’elle accélérait, et ce n’était pas très discret. Elle jeta un coup d’œil de son côté, voir si quelque chose se pointait alors que Wilhelm vérifiait avec ses jumelles.

« Entendu. »

Il s’était rassis et avait hurlé. Il n’eut pas besoin de le répéter, Agetha c’était déjà redressée sur son siège et faisait vrombir la jeep. Plutôt que de continuer tout droit et risquer l’affaissement, elle s’écarta vers le sens opposé, vers la terre stable, quitte à sortir de la trajectoire initiale. L’on aurait pu croire que l’agente allait être freinée par son instinct féminin, celui qui obligeait nombre de maris à ralentir sur la route mais, avec la jeune femme, c’était bien tout le contraire. Heureusement, ses mains étaient bien campées sur le volant et elle demeurait concentrée.

Elle était efficace. Wilhelm aimait bien ça. Le moteur vrombissait, fusionnant un instant avec le brouhaha de l'affaissement. Il n'avait pas eu besoin de lui expliquer son point de vue sur la meilleur trajectoire à adopter. Il n'y avait de toute façon pas le temps pour ce genre de bavardage inutile. La blonde avait su montrer qu'elle pouvait prendre les bonnes décisions au bon moment en réfléchissant rapidement dans des conditions extrêmes. Pour une assignée à la paperasse, Wilhelm était presque impressionné. S'il n'avait pas l'habitude de la voir en tailleur, il aurait d'ailleurs presque oublié ce détail. Mais le lieutenant ne se laissa pas distraire. Conscient qu'ils pouvaient éviter le glissement de terrain en poursuivant sur la courbe qu'ils avaient choisis d’emprunter, il donna déjà ses ordres suivants.

"Suivez le rythme de l'éboulement ! La poussière qu'on soulève ne doit pas paraître anormale lorsque la terre redeviendra calme ! Rejoignez la piste prévue le plus rapidement possible, je préfère qu'on doive se dissimuler à nouveau plutôt que de risquer de nous faire repérer par une milice extérieure."

Wilhelm avait déjà repris ses jumelles et scrutait l'endroit où se trouvait auparavant la falaise qui venait de s'effondrer. N'y avait-il donc aucune trace humaine perceptible ? A sa droite, les nuages de poussière bloquaient encore une bonne partie de la visibilité. S'il s'agissait d'une embuscade, il y avait de fortes chances qu'ils se fassent coincer.

La militaire plissa les yeux face au vent qui lui arrivait en pleine figure. Une main quitta rapidement le volant et vint baisser devant sa vue une paire de larges lunettes, indispensable lorsque l’on allait en terrain aussi poussiéreux. Agetha contrôlait parfaitement le véhicule, mais ses mouvements, ses virages, étaient particulièrement brusques. Virer en douceur, elle avait du mal, mais sa maitrise de la jeep lui pardonnait le tout. Attentive aux ordres du lieutenant, elle cessa de s’éloigner dans le sens opposé de l’éboulement et se rapprocha de la courbe de celui-ci pour le longer.

Agetha fit l’erreur de s’approcher un peu trop près du terrain instable. Elle fronça les sourcils, visiblement contrariée sous ses grosses lunettes et tourna violemment le volant pour faire reprendre au véhicule son équilibre. Une roue avait du mal, elle glissait, l’agente le sentait. La militaire appuya un peu plus fort sur l’accélérateur, faisait vrombir le moteur et réussit à se dégager sans trop de mal. Elle s’éloigna donc de la courbe, suffisamment pour qu’ils ne risquent rien, mais pas trop pour rejoindre rapidement la piste prévue.

Agetha pinça les lèvres, la poussière lui rentrait dans le nez et irritait sa gorge. Saleté de terrain sudiste.

Un coup d'oeil dans le cockpit informa le militaire que ses craintes se réalisaient. Rien ne servait de survivre à un éboulement si c'était pour mourir asphyxier quelques minutes après. Protégeant ses voies respiratoires avec la manche de sa main libre, il rentra à nouveau dans le véhicule, retirant ainsi la veste qu'il avait sur lui pour le moment afin d'accéder au marcel d'entrainement qu'il avait en dessous. Il ne fallut pas plus de trois seconde pour qu'il le retire et qu'il déchire les coutures. Il en saisit une partie et s'enveloppa le bas du visage avec, invitant la jeune femme à en faire de même en lui posant l'autre partie sur les genoux.

"Je tiens le volant."

Simple promesse pour rester en vie, le lieutenant devait tout de même saisir la bête à deux mains pour ne pas perdre le contrôle du véhicule, empiétant un peu trop à son goût sur le territoire de la demoiselle. Il attendit qu'elle eut terminé avant de se redresser sur son propre siège, enfilant de nouveau sa veste. Tant pis pour les manières, à la guerre comme à la guerre ! Il tendit une des gourdes à la jeune femme tandis qu'il portait la sienne à ses lèvres. Après avoir craché rapidement la boue dehors, il reprit la parole.

"Vous devriez vous rincer la bouche rapidement et avec le moins d'eau possible. Si vous gardez le sable en bouche, vous vous désaltérerez plus vite et risquez de chopper des maladies."

Pas besoin de s'étendre le sujet. La visibilité leur faisait défaut mais d'après ses estimations, ils devraient bientôt tourner à gauche pour reprendre la ligne prévue initialement. Indiquant leur position approximative sur la carte, il indiqua de poursuivre sur la trajectoire prévue. Pour l'instant, tout allait à peur près bien...

Agetha enfonça le bas de son visage dans sa veste de militaire tout en respirant lentement. Un éboulement n’était pas suffisant à l’adjugeant-chef pour la faire paniquer. Wilhelm bougea, de son côté, mais elle ne détourna pas les yeux pour voir ce qu’il faisait. Elle sentie quelque chose se poser sur ses genoux et le lieutenant parla. Il tenait le volant. L’agente s’enfonça dans son banc pour le laisser agir et attrapa le morceau de tissu pour le passer sur son visage. Ceci fait, elle reprit son volant et fit chanceler le véhicule pour en reprendre le contrôle total.

Sans détourner les yeux, elle prit rapidement la gourde. Dans le temps de le dire, elle avait avalé une gorgée rapidement recrachée et, parce qu’elle avait soif, en prit une seconde qu’elle avala. Agetha battit des paupières, la vue brouillée par le sable la gênait. Heureusement, grâce à ses épaisses lunettes, elle n’avait pas à plisser les yeux et pouvait conduire aussi bien que lui permettait les conditions. Elle finit par s’éloigner de l’éboulement et rejoignit la route. La militaire ralentit –tristement- la vitesse du jeep et continua d’avancer, calme. Imperturbable.

Tout se déroulait comme prévu. Le sergent-chef Hallsteinssen était d'une force remarquable pour une jeune femme de la direction, Wilhelm ne s'en étonnera jamais assez. Face à l'efficacité et à la fiabilité de sa camarade, le lieutenant ne put que sentir son égo se gonfler vis à vis de l'armée de terre. Sa famille, sa raison d'être, il n'y avait vraiment que sur eux qu'il pouvait vraiment compter en toutes circonstances. Il ne put d'ailleurs se contenir de soumettre son avis sur la question à voix haute.

"Vous feriez un excellent cavalier, Sergent-Chef, êtes vous certaines de ne pas vouloir vous reconvertir ?"

Il y avait une note d'humour perceptible dans sa voix et son sourire en coin, mais dans là mesure où on connaissait le blond, il était facile de savoir qu'il pensait sérieusement chacun des mots qu'il avait prononcé. Il se doutait juste de la réponse et n'avait formulé la question que par pure rhétorique. Puis un bruit reconnaissable entre mille s'éleva au delà des décombres. Vif comme toujours, il s'empara de ses jumelles et scruta attentivement l'horizon de son côté, et plus précisément en direction des gravas précédemment tombés. La probabilité que les deux affaires soient liées était haute mais il ne voulait pas négliger la piste du hasard. Il s'adressa de nouveau à sa collaboratrice, toute trace de rire à présent effacée.

"Gardez cette allure, le véhicule est sûrement déjà repéré. Faites comme si rien ne s'était passé et accélérez dès que vous voyez quelqu'un."

Rapidement, il fit son rapport à la radio en omettant le moins d'informations possible. Une question subsistait pourtant : pourquoi des coups de feux seraient-ils tirés aléatoirement sans réponse d'un éventuel agresseur ? S'ils étaient les cibles, les coups devraient se rapprocher bien vite. Sinon... Il espérait ne pas être entre deux feux.

Wilhelm Ashford montra un semblant d’humour, un semblant d’humain. Dans une situation hors du terrain ou d’un entrainement sérieux, Agetha aurait sourit. Son attitude se serait transformée d’un coup, elle serait devenue aimable, gentille. Ses épaules se seraient poussées vers l’arrière et, dans un air de cruche, elle aurait renvoyé un compliment au soldat en lui disant que tout était grâce à ses ordres clairs. Ce n’était pas faux. Seul, Agetha était handicapée par son manque flagrant de jugement. Elle devait être dirigée, contrôlée… Comme une machine.

« Certaine. »

Fut les seules paroles qu’elle prononça, ses yeux rivés sur la route. C’était à peine si elle cilla lorsque les coups de feu retentirent. Wilhelm, quant à lui, réagit au quart de tour et donna rapidement les ordres. Elle obéit, tout simplement. Ce n’était pas de son rang de réfléchir contre les mots du lieutenant, ce n’était pas de son éducation non plus. Néanmoins, histoire qu’il n’y ait pas de sous-entendus, elle demanda, calme :

« J’accélère en gardant la route prédéfinie ou je change de trajectoire ? »

[Je te laisse faire le prochain jet de dé ♥]