Quinze heure, médiathèque d'EP-1, dans une salle abandonnée.

"En redéfinissant la notion de zone de conflit armé comme un lieu mobile rattaché à la personne de l’ennemi, on en arrive à revendiquer, sous couvert de droit des conflits armés, l’équivalent à l’exécution extrajudiciaire étendu au monde entier, même en zone de paix, contre tout suspect, hors procédure, y compris contre ses propres citoyens."

BOOM. Claquement d'un livre qu'on ferme brusquement. La voix était forte et sérieuse, comme lors d'un enseignement. Bruits de pas. Un aller-retour. Deux allers-retour. Pause. La voix se fait de nouveau entendre.

"Le crime le plus substantiel ne réside pas dans... Trop faible. Le crime le plus substantiel ne réside pas dans une transgression ouverte de la loi, mais dans les replis de son application souveraine !"

Comme une répétition théâtrale, isolé dans une des nombreuses sales de travail de la médiathèque, la voix du Commandant Ashford ne semblait pas perturber l'ordre des choses. Apparemment, c'était une habitude.

Spoiler:

Finis les cours. Enfin du temps libre. En milieu d'après-midi, il avait pile assez de temps pour faire des choses sans avoir trop de temps à faire passer non plus. Mais elle ne savait pas vraiment quoi faire. Elle était sur le point d'aller au parc avec Heko lorsque son téléphone sonna. C'était un de ses collègues. Une demande de service qu'elle accepta avec sourire.

La médiathèque était de loin l'un des endroits les plus passionnants de l'île. On y retrouvait tout le savoir et bien plus encore. Gabrielle regarda une dernière fois son téléphone, espérant y voir un message. Mais non, il devait être trop occupé. Soupirant, elle rangea son appareil dans son sac avant de pénétrer dans les lieux.

Elle se balada dans les allées à la recherche de l'ouvrage tant voulu. Soudain, son regard se porta sur une des salles. A l'intérieur et à travers la vitre, elle put apercevoir une vieille connaissance et pas des moindres. Sous ses yeux, Wilhelm Ashford agissait étrangement, semblant s'entraîner à un discours tout en lisant un livre. Les soucils froncés, Gabrielle toqua à la porte et rentra sans y être invitée.

Wilhelm ! Ca fait longtemps !

L'ouverture non-anticipé de la porte l'avait sorti un peu trop précipitamment de sa lecture et il faillit renvoyer la personne qui l'avait dérangé en lui affligeant une punition mais il réussi à identifier la personne juste à temps pour éviter de se compromettre. Se retournant précipitamment, il referma son livre par réflexe et pris une grande inspiration. Son visage était encore rigide à cause de l'interruption mais sa voix était normale, sans aucun doute grâce à son entraînement oral parfaitement exécuté.

"Oh, Major Cooper. Ravi de vous revoir également. Vous êtes venu vous entraîner également ? Ou y aurait-il des événements à me relater afin d'expliquer de manière cohérente votre présence ?"

Non, il ne s’était vraiment pas attendu à la voir ici et ne comprenait même pas pourquoi elle lui avait parlé. "Salut ça va ?", tout ça, c'était au delà de tout ce que Wilhelm pouvait concevoir avec les informations dont il disposait. Oui, toujours le même schéma : étude, analyse, action. Après cela, tout irait mieux.

Aussi longtemps qu'elle s'en souvenait, Wilhelm avait toujours été très carré lorsqu'il s'exprimait, de même lorsqu'il se tenait, tout simplement. Elle aurait pourtant aimé qu'il l'appelle simplement Gabrielle, comme pouvait parfois le faire ses collègues ou les gens qu'elle connaissait depuis un certain temps. Major Cooper, elle n'en avait toujours pas l'habitude, bien que cela faisait plus d'un an qu'elle avait retrouvé ce titre.

La façon de parler du commandant Ashford était toujours aussi particulière. A croire qu'elle faisait face à un robot. Mais l'Irlandaise ne perdait pas son sourire. Elle allait continuer comme si de rien n'était, prenant néanmoins soin de fermer la porte derrière elle pour éviter de déranger les autres occupants de la médiathèque.

M'entraîner à quoi donc ? Je cherchais juste un livre pour un collègue... Ah bah tiens, justement, c'est celui que vous tenez dans les mains !

Pas de doute, c'était bien celui que lui avait demandé le collègue.

Mais pour l'instant, pas d'urgence à ce que je le prenne, on peut discuter un peu, si vous voulez ! Comment allez-vous depuis le temps ?

Ça, c'était une femme qui ne perdait pas son temps. Ou alors elle le perdait mais elle faisait en sorte de meubler convenablement. Wilhelm regarda tour à tour son livre et la jeune femme avant de poser le premier et poser ses fesses sur une table sans pour autant s'asseoir face à la seconde dans un style professoral bien identifiable. Sa voix était désormais plus posée mais toujours d'un ton sans faute lorsqu'il reprit la parole.

"Je suis en pleine forme, Major, ça me démangerait presque d'aller demander une convocation au bureau afin de savoir si je ne pourrais pas aller sur le terrain quelques temps ! J'ai cependant quelques "obligations" d'ordre privé qui retiennent mon attention ici pour le moment. Et vous ? Que deviennent vos chiens ? J'ai entendu dire qu'ils étaient très appréciés sur l'île sans pour autant avoir jamais vraiment pu assister à une démonstration de leur part."

C'était certes une invitation, mais également une curiosité non-feinte sur un sujet qu'il savait "fiable". Gabrielle aimait ses chiens donc elle ne trouverait pas le thème "ennuyeux". Etude, analyse, action. Cette formule était la clé de toute sa réussite ; professionnelle et sociale.

Il avait toujours cette manière étrange de parler. Gabrielle ne savait pas vraiment comment il faisait pour parler ainsi. Peut-être parce qu'elle avait appris à parler en Irlande et que ce n'était pas cette façon de s'exprimer qui primait. Mais elle le comprenait, c'était l'essentiel.

L'Irlandaise fronça légèrement les sourcils. Wilhelm voulait retourner sur le terrain mais il ne pouvait pas parce qu'il avait des raisons personnelles. Voilà une réponse bien mystérieuse qui pouvait étayer la curiosité de la rouquine.

Oh, j'espère que tout va bien pour vous. Ce serait dommage qu'il vous arrive quelque chose de malheureux. Mes chiens vont très bien. Je ne savais pas qu'ils étaient tant appréciés. Si vous le souhaitez, vous pouvez venir à un de mes cours prochainement, vous verrez la plus jeune à l'oeuvre.

Elle avait proposé ça en toute amitié. Mais elle se doutait qu'il pourrait avoir du travail en rapport avec Ep-1, surtout s'il avait des obligations personnelles.

Wilhelm commençait à s'habituer aux conversations banales dans le bon sens du terme. Il fut une époque où il aurait répondu à l'invitation par "excusez moi de devoir refuser mais mon travail ne me permet pas de bénéficier d'autant de temps libre" d'un air presque hautain, mais aujourd'hui, il avait appris à nuancer ses propos de façon plus diplomate.

"Je participerais volontiers à vos enseignements, j'en ai entendu que du bien et il me sera toujours instructif autant qu'appréciable. Il faudrait vérifier à concordance de nos emplois du temps afin de comparer nos disponibilités. C'est assez délicat avec les préparatifs du mariage en ce moment mais je pense pouvoir arranger une ou deux journées pour débloquer une après-midi."

Oups ! Il avait "malencontreusement" dévoiler son mariage avec Agetha ! Non, il n'en avait rien à faire et aimait étaler sa réussite sociale en toute discrétion. Après tout, c'était un moyen comme un autre de relancer la discussion...

Gabrielle sourit gentiment. Cela ne la dérangerait pas d'avoir un invité à son cours, du moment qu'il ne perturbait pas les animaux. Cela ferait aussi du bien aux élèves de voir Wilhelm. Cela leur prouverait qu'il n'était pas qu'une machine ne répondant qu'aux ordres et à la droiture.

La rouquine fut néanmoins plus que surprise de l'entendre parler de mariage. Non pas qu'elle le voyait mal avec une femme (bon d'accord, elle le voyait mal avec n'importe qui), mais c'était aussi et surtout assez inattendu, vu qu'aucune rumeur sur un quelconque couple n'avait été ébruitée (ce qui était plutôt bien pour elle, en passant).

Vous... Vous vous mariez ? Vraiment ?

Elle paraissait vraiment étonnée, pour ne pas dire carrément choquée. Elle l'avait toujours plutôt vu marier à son bureau qu'avec une femme. Elle s'appuya contre le mur pour ne pas partir en arrière.

Félicitations en tout cas ! Qui est l'heureuse élue ?

Ah ben voilà une bonne femme comme on en voit partout ! Il avait presque perdu l'habitudes des discussions respirant la niaiserie avec Agetha et voir ainsi Gabrielle lui poser des questions prévisibles sur un ton de parfaite femme intéressée le faisait presque sourire. Il fut cependant dissuadé rapidement par la mine choquée de son interlocutrice. Encore une qui le prenait pour un homme indigne et trop "bizarre" pour mener une vie "normale". Et bien soit ! C'était justement pour les faire jaser qu'il avait tant changer son mode de vie ! Alors que sa descendance perdurerait, il pourra rire de leurs mines abasourdies pataugeant dans une médiocrité mondaine. Il répondit sur le ton de la discussion.

"Je vous remercie. J'ai présenté mes avances au Capitaine Hallsteinssen la semaine dernière et elle les a accepté sans cérémonie. Nous préférons être plutôt discrets dans nos démarches et espérons opter pour un mariage officiel en mairie. Vous voyez ce que je veux dire..."

Ainsi donc il espérait que la nouvelle s'ébruite suffisamment rapidement pour qu'il entende les gens jaser sur son mariage dans les couloirs mais assez discrètement pour que personne n'ose lever le ton sur le sujet en sa présence. Reconnaissance. C'était en pensant à lui qu'ils finiraient par le soutenir inconsciemment.

Hallsteinssen. Gabrielle avait eu parfois affaire à elle pour certains documents, mais elle ne la connaissait pas plus que ça. Le peu de temps qu'elle avait passé avec l'agent administratif, la maître-chien l'avait pensée folle. Mais bon, s'ils allaient bien ensemble, c'était l'essentiel.

Ne vous en faites pas, je serai muette comme une tombe. Mais je crains que les rumeurs ne se propagent vite depuis la mairie. Vous savez comment sont les employés de bureau, toujours à la recherche des derniers potins.

Gabrielle n'était pas fan de rumeurs et de scoop à raconter. Elle n'avait pas vraiment de groupe d'amies avec qui elle pouvait passer des soirées entre filles à se faire les ongles, les cheveux et à parler garçons.

Elle regardait toujours le commandant. Elle avait d'autres choses à faire et n'avait plus vraiment de questions à poser à Wilhelm. Il l'avait déjà assez choquée comme ça.

Je ne vais pas m'attarder plus longtemps, vous avez sûrement du travail. Avez-vous encore besoin de votre livre ou puis-je l'emprunter ?

Ainsi donc elle était plus spirituelle qu'il ne l'avait pensé. Ou alors elle cachait bien son jeu, la coquine ! Il regarda son livre une dernière fois avant de se résoudre à le céder, non sans mal. Après tout, il avait mis du temps à trouver un ouvrage intéressant entraînant la diction avec éloquence. Tendant le livre à la rousse, il lui fit une ultime requête avant qu'elle ne quitte la pièce.

"Aucun soucis, je suis actuellement en exercice personnel. Auriez-vous une recommandation à me faire afin de remplacer ma lecture actuelle ? J'ai déjà lu quelques titres connus mais je ne suis pas contre un coup de cœur d'une connaissance afin d'enrichir mon patrimoine culturel."

"Quelques" c'était "tout le rayon concernant le domaine militaire" ou presque. Il lui fallait bien autre chose, même dans un autre domaine pour l'occuper désormais.

Gabrielle remercia Wilhelm avec un sourire. Elle prit l'ouvrage entre ses mains et le cala contre sa poitrine.

La requête de l'homme la fit réfléchir. Elle tentait de trouver quelque chose de totalement différent, mais qui pourrait lui servir par la suite. L'Irlandaise était une grande lectrie, mais ses goûts étaient bien loin de ceux du Commandant.

Hum... Laissez-moi réfléchir... Ah oui, j'ai peut-être une idé, donnez-moi quelques secondes.

La rouquine sortit de la pièce avant d'avoir la réponse de Wilhelm. Elle savait parfaitement où elle allait. Un rayon qu'elle connaissait bien, pour ne pas dire par coeur. Elle regarda la cote des ouvrages avant de trouver sa perle rare. Elle sourit, attrapa le livre et retourna dans la salle. Elle tendit la lecture.

Tenez, je pense que ça vous aidera, surtout vu le contexte actuel que vous vivez.

Orgueil et Préjugés. La base du roman pour la jeune femme.

Je vous souhaite une bonne journée, Commandant, et félicitations encore pour votre future union.