Avec Raphaëlle, Neils expérimentait une relation étrange où, à l'inverse du couple traditionnel et ancré dans la norme, c'était la femme qui était bordélique et mauvaise cuisinière à la place de l'homme. En entendant les beuglements qui provenaient de la cuisine, il comprit qu'il y avait de l'huile sur le feu. Mais ce n'était pas comme s'il ne s'y était pas attendu. Ce genre de situation était très fréquent.

Assis dans son fauteuil avec Boo qui dormait sur ses genoux – pour une fois, il était calme – il entendit un bruit d'explosion et commença à se masser les tempes, sans réagir aux appels de Raphaëlle. Mais celle-ci débarqua devant lui, visiblement en colère, en piétinant son tablier, suivie d'une fumée noire qui s'échappait de la porte de la cuisine. Jackpot.

« Bon, pizza ce soir. »

Y avait des soirs où Neils n'avait pas envie de faire la cuisine, et encore moins après que Raph ait tout fait cramer. Il se leva et tapota la joue de la blonde au passage, avant d'aller voir l'état de la cuisine en agitant sa main pour essayer de dissiper la fumée, sans succès. Il toussa légèrement, avant de rétorquer:

« Raphaëlle, arrête de vouloir cuisiner, sérieusement. »

En principe il préfère laisser une femme faire la cuisine à sa place, mais pour le coup, c'était tellement désastreux qu'il valait mieux pour tout le monde qu'elle en reste loin.

Pizza ?! Encore ? Raphaëlle fit la moue, sourcils froncés. C'était sa faute et elle le savait, mais l'assumer pleinement c'était plus compliqué. Malgré ses 33ans, elle agissait encore beaucoup comme un ado. Caractérielle, lunatique, insupportable. Imaginez-la lorsqu'elle avait ses règles ! C'était à se demander comment un homme aussi responsable et froid que Neils Archer pouvait la supporter.

« Pourquoi j'arrêterais ?! » Rétorqua-t-elle d'un ton agressif. « C'est la cuisine qui est bidon. »

Mais bien sûr, c'était la faute de la cuisine. Méchante, méchante cuisine, pas bien. La blonde lâcha un "Hum !" en détournant le visage, puis s'en alla en direction de la salle de bain. Et comme d'habitude, c'était en route qu'elle se déshabillait -cela dit, elle avait pris l'habitude de garder ses affaires sur le bras maintenant, Neils n'étant pas sa femme de ménage.

Dans la salle de bain, elle se fit une rapide toilette. Pas une douche complète, mais un simple lavage de cheveux -ceux qui s'étaient le plus imprégné de l'odeur avec les vêtements. Cheveux mouillés, Raphaëlle se regarda dans le miroir ; ils avaient à peine poussé... Souvent, ses cheveux longs lui manquaient. Elle ne pouvait plus jouer à la sauvageonne avec des coiffures sexy pour aguicher Neils. Elle se sentait davantage comme un garçon manqué, et ça l'ennuyait.

Enfilant rapidement une chemise de Neils avec un short en jean, elle s'accorda une pause supplémentaire lorsqu'elle sentit le parfum de l'homme sur le vêtement. Un fin sourire étira ses lèvres et elle ferma les yeux, remontant le col jusqu'à ses narines. Ca la calmait. Apaisée, elle sortit de la salle de bain pour revenir vers la cuisine.

« Neils ? Tu veux un coup de main ? »

Neils regarda Raphaëlle s'éloigner vers la salle de bain en se déshabillant en chemin, et poussa un soupir d'agacement. C'est encore pour ma pomme. Il rentra dans la cuisine noire de brouillard, une main sur le visage pour ne pas absorber la fumée, et ouvrit la fenêtre pour aérer. Non là, hors de question de laisser Raph toucher encore une fois au matériel de cuisine ; la prochaine fois elle ferait brûler l'appartement à coup sûr. Laissant lentement la fumée s'évacuer, il commença à observer la cuisine pour prendre considération de l'étendue des dégâts... et se pinça le haut de l'arête du nez.

Mais c'était quelque chose auquel il s'était habitué. Vivre avec Raphaëlle n'était pas de tout repos et il le savait depuis le début. Elle était comme une enfant gâtée qui n'avait pas grandi et ne voulait visiblement pas grandir. Il prit appui contre un meuble de la cuisine et croisa les bras, attendant qu'elle revienne, se perdant dans ses pensées. Puis il leva les yeux quand elle entra à nouveau dans la cuisine, dont la fumée avait presque disparu ; il ne restait plus qu'un fin brouillard qui ne gênait pas la vue.

« Si tu veux me rendre service, commande une pizza indienne. » On sait jamais, même en nettoyant la cuisine elle pourrait faire encore exploser quelque chose. C'était à se demander comment une femme si maladroite pouvait créer seule des choses aussi minutieuses et élaborées que l'IAA. « Et ne m'aide pas. »

Il poussa un soupir et ramassa le tablier qui trainait, avant de jeter tout ce qui semblait foutu à la poubelle et nettoyer ce qu'il y avait à nettoyer. Vraiment, quelle plaie.

Nouveau soupir. Raphaëlle se tint hors de la cuisine, faisant quelques pas lents en arrière. Elle se balança sur la pointe de ses pieds, regardant Neils un instant. Fais pas ton grincheux. Elle se retourna puis alla chercher le numéro de la pizzéria.

« Oui bonsoir, c'est pour une commande. Une pizza indienne. Grande. Avec sauce piment séparée, aussi. Oui... Oui, c'est nous. Toujours au même endroit. Merci. »

Rapide. A force, ils commençaient à être habitués, ces pizzaïolos. Raphaëlle raccrocha, reposant son petit appareil et le papier de la pizzeria sur la commode. Elle tourna la tête vers la cuisine, puis revint vers la pièce, laissant sa main frôler le mur. Arrivée à l'entrée, elle croisa les bras et regarda longuement son compagnon sans rien faire. Jusqu'à ce qu'une petite truffe humide vienne lui renifler le pied, attirant son attention. La blonde se baissa, esquissant un sourire, et frotta la tête de Boo avant de le prendre dans ses bras.

« Tu as vu comme papa est beau quand il frotte la cuisine ? » Elle reposa un regard malicieux sur Neils. « Après on me demande pourquoi je la salis tout le temps. »

Elle embrassa le haut du crâne du chiot, encore endormi, puis s'éloigna tout en lançant un muet "Tu es sexy" à Neils.
Oui, Raphaëlle aussi pouvait bien s'entendre avec les animaux et même considérer Boo comme leur gosse. Aussi chiant qu'elle avec Neils, elle ne pouvait que l'aimer.

Certaines choses avaient évolué dans leur relation depuis quelques années. Et d'autres n'avaient pas changé, on le voyait tout de suite. Comme la façon qu'avait Raphaëlle de le narguer à la moindre occasion, de le mener par le bout du nez. Le seul fait qu'il nettoie seul la cuisine qu'elle avait sali en était la preuve. Lorsqu'elle prit Boo dans ses bras en le regardant d'un air narquois, il fronça les sourcils et leva les yeux au ciel, faisant comme s'il n'avait rien vu ni entendu.

C'est seulement lorsqu'elle s'éloigna qu'il remarqua qu'elle avait enfilé une de ses chemises, bien trop grandes et trop larges pour sa taille de guêpe. Il la regarda un moment, sans rien dire. Elle était toujours aussi belle, aussi attirante, même dans un vêtement qui n'était pas taillé pour sa silhouette.

Finalement, il jeta le chiffon dans un coin et sortit de la cuisine. « Raph, ce serait cool que tu sois un peu sérieuse de temps en temps. » dit-il d'un ton calme, en croisant les bras, s'appuyant contre le mur. « J'ai autre chose à foutre que nettoyer tes conneries sans arrêt. » Il avait beau aimer ce petit côté enfantin qu'elle avait, ce n'était pas toujours amusant pour lui d'avoir l'impression de vivre avec une gamine de quatorze ans.

Raphaëlle déposa Boo sur le canapé, où il se rallongea docilement. Au même instant, Neils sortait de la cuisine pour, comme par hasard, lui faire la morale. S'il avait l'impression de s'occuper d'une gamine de quatorze ans, elle avait l'impression elle, de son côté, de vivre avec un père par moment, et non avec son petit ami. Cela dit, la blonde se cachait moins qu'avant. Elle le faisait toujours autant chier, mais jouait moins avec les apparences en sa présence. Moins. Mais ça arrivait encore. Croisant les bras à son tour, rapprochant la chemise de son frêle corps, elle s'avança vers Neils sans le regarder.

« Je perds pas l'espoir qu'un jour tu puisses manger un de mes plats. Autre que de la salade composée. »

Douce, un peu vicieuse aussi, elle vint se blottir contre lui, passant ses bras autour de sa taille. Elle se hissa sur la pointe des pieds pour déposer une furtif baiser sur ses lèvres avant de le regarder dans les yeux.

« Tu sais que c'est frustrant de ne pas tenir son rôle, n'est-ce pas ? »

Neils qui faisait à manger et le ménage, comparé à elle qui était bordélique et incapable de réussir des pâtes. Parfois, elle se sentait un peu minable, comme une incapable. Comme si elle avait raté une part de sa vie, que quelque chose lui manquait. La sensation d'être incomplète, de ne pas être pleinement une femme...
Raphaëlle tourna la tête vers la cuisine.

« Peut-être que je devrais cuisiner au laboratoire. »

Histoire de tout faire péter ?

Lorsque Raphaëlle vint l'enlacer, Neils demeura immobile quelques secondes, avant de l'étreindre à son tour. Malgré ses déboires, l'intention était là. Elle n'était pas parfaite. Elle était très différente des autres femmes de son âge, et il avait une petite idée de la raison. Mais ça faisait quatre ans que le sujet n'avait plus été évoqué alors il ne dit rien. Il resta simplement silencieux, et la regarda dans les yeux à son tour, captivé par leur teinte bleue et ses prunelles pétillantes.

« Je sais. »

Il resserra son étreinte sur elle, la rapprochant un peu plus de lui. Il pencha la tête pour nicher son visage dans le cou de la jeune femme, tout en passant sa main de chair dans ses cheveux. Ça lui faisait toujours aussi bizarre de ne plus les voir aussi longs qu'avant ; il ne pouvait plus les regarder cascader sur les épaules de sa compagne, ni les enrouler autour de ses doigts comme il aimait le faire. Mais les cheveux, ça repousse. Et cette coupe lui allait bien aussi.

« J'imagine que les laboratoires sont mieux équipés pour ce genre de désagrément que notre cuisine. »

Il avait beau la réprimander un peu de temps à autre, il n'était pas son père. Ce n'était pas lui qui lui apprendrait à bien se comporter. Si elle voulait lui faire plaisir, elle l'apprendrait toute seule. Sans rien dire de plus, il rapprocha son visage du sien pour plaquer ses lèvres contre les siennes. S'il y avait bien une chose qui ne faisait pas défaut à Raphaëlle dans leur relation, c'était bien sa sensualité.

Malgré leurs différents, ils étaient toujours ensemble. Cela pouvait en exaspérer certains d'ailleurs. Tous les deux avaient néanmoins des réputations différentes ; Neils était craint et respecté, pas forcément détesté, à l'inverse de Raphaëlle qui était plus détestée que crainte, néanmoins respectée pour ses capacités. Personne n'avait imaginé que Raphaëlle puisse un jour se caser avec l'un des hommes qu'elle fit le plus tourner en bourrique.
Répondant à son baiser avec ardeur, Raphaëlle songeait à aller plus loin lorsque l'on sonna à la porte. Comme toujours, les gars de la pizzéria étaient rapides. Probablement devaient-ils faire des stock en attendant un coup de fil du duo Archer-Bertignac. La blonde recula légèrement son visage, mordilla la lèvre de Neils en souriant, puis se détacha de lui.

« Tu crois qu'il regardera mes yeux, ma poitrine ou la pizza ? » fit-elle sur un ton joueur.

Elle déboutonna légèrement la chemise sous les yeux de Neils puis se retourna en lâchant un "à nous deux !", se dirigeant vers la porte. Ca non plus, ça n'avait pas changé.
Sauf Boo qui venait maintenant avec elle jusqu'à la porte, aboyant comme un fou.
Raphaëlle ouvrit la porte, le poing sur la hanche, sourire malicieux sur les lèvres. Et quelle ne fut pas sa surprise de voir une fille brune lui tendre la pizza, donner le reçu, faire signer Raphaëlle et repartir dans un sourire. La blonde était apparemment outrée, car lorsqu'elle se retourna, c'était la bouche ouverte, les sourcils froncés, et le doigt pointant l'extérieur qu'elle râla sur Neils.

« J'y crois pas ! Ils ont remplacé notre livreur par une grognasse brune ! »

La voilà qui faisait le même numéro que d'habitude. Chaque fois que le livreur sonnait à la porte, elle l'accueillait toujours dans une tenue un peu trop sexy. Il faut dire que Raph était tout sauf pudique. Neils ramassa Boo qui allait courir vers la porte pour se jeter sur la personne qui sonnait, comme il le faisait toujours. Gardant le chiot qui s'agitait dans tous les sens dans ses bras, il suivit la jeune femme vers la porte d'entrée, restant cependant tout de même légèrement en retrait, et réprima un rire en voyant l'expression de Raphaëlle lorsque celle-ci se retourna.

« C'est parce qu'il te prend pour une nymphomane, à force. Tu l'as cherché. »

Forcément, il devait prendre peur au bout d'un moment. D'autant plus qu'elle l'appelait sans arrêt, il avait sans doute flairé une arnaque et avait décidé d'envoyer une collègue livrer la pizza à sa place. Logique. Neils reposa Boo par terre une fois que la porte fut refermée et donna une tape sur les fesses de Raphaëlle pour lui dire d'aller poser la pizza. À force de ne manger que de ça, il en avait un peu marre, mais il n'allait pas se plaindre. Au moins ce n'était pas carbonisé.

« Mais ne t'inquiète pas, je suis sûr qu'elle a regardé ta poitrine, si ce n'est que ça. » De toute façon, n'importe qui l'aurait regardée, dénudée comme elle était. Bon, il se foutait un peu de sa tronche pour le coup.

Agacée. On lui avait retiré son jeune livreur qui la reluquait tout le temps d'un air gêné. Raphaëlle ne réagit même pas à la claque sur les fesses et alla poser la pizza sur la table du salon avant de la regarder d'un air pensif. Elle resta immobile quelques secondes, puis tourna les talons en direction de la cuisine, allant chercher une bière à Neils et une bouteille d'eau pour elle. Calant la bière dans la main de Neils, elle traça directement sur le canapé pour s'y asseoir.

« C'est parce que tu ne me regardes et ne me touches pas assez. A croire que je perds tous mes charmes à force de te côtoyer. »

Si elle se sentait moins belle ? Elle ne le disait pas, mais la perte de sa longue chevelure dorée l'avait beaucoup travaillée. Elle avait toujours pris grand soin de ses cheveux qui, à l'époque, lui arrivaient en dessous des fesses. Ils avaient été sa fierté et son plus bel atout féminin, alors avoir les cheveux courts lui donnait la sensation d'avoir perdu ce qui faisait d'elle une belle femme. Ouvrant sa bouteille, Raphaëlle la porta à ses lèvres et bu quelques petites gorgées avant de la reposer.

« Au fait, tu as remarqué ? La maternité est pratiquement pleine. C'est à croire que tous les soldats ont décidé de pondre des enfants en même temps. » Moment de réflexion en ouvrant la pizza. « Probablement la guerre. »

Tiens donc. Il ne la regardait et ne la touchait pas assez ? Première nouvelle. Soit elle le faisait exprès parce que c'était une femme et que ce fait était une explication à lui seul, soit elle était tellement obnubilée par autre chose qu'elle ne remarquait même pas qu'il n'avait d'yeux que pour elle. Assis sur le canapé, il s'alluma une cigarette en attendant qu'elle le rejoigne, l'air un peu évasif.

« Arrête de dire des conneries. »

Une fois sa bière à la main et Raph à côté de lui, il tourna la tête vers elle et l'observa longuement, ayant clairement remarqué son agacement. Il passa son bras par-dessus ses épaules et la rapprocha de lui, avalant une bouffée de sa cigarette avant de recracher énergiquement la fumée de ses poumons. Et puis elle amena encore un sujet qui fâche. Du moins, il savait que c'était un point sensible chez elle et qu'il fallait prendre ses précautions.

« Quelque chose te tracasse, Raphaëlle ? » Si elle lui reprochait de ne plus la toucher pour ensuite enchaîner sur ça, c'était évidemment que quelque chose n'allait pas.

« Moi ? »

Raphaëlle tourna la tête vers lui, incrédule. Pourquoi quelque chose la tracasserait ? Elle se le demandait. La blonde resta un moment silencieuse à le regarder, cherchant à comprendre quel cheminement Neils avait fait pour en conclure que quelque chose la dérangeait. Il ne lui fallut guère longtemps, et elle afficha un léger sourire, penchant légèrement la tête.

« Je vais bien. Je faisais juste la remarque parce que c'est la première fois que je vois les locaux d'EP-2 autant remplis de femmes enceintes. »

Bien évidemment, elle mentirait si elle disait que cela ne la touchait pas plus particulièrement. Elle n'oubliait pas que la fois où elle avait explosé de colère devant Neils, c'était pour lui annoncer qu'elle était stérile. Si le manque était toujours présent, elle voyait néanmoins qu'il ne la quittait pas. Se penchant vers la pizza, elle sépara les parts déjà pré-coupés, continuant de parler.

« Cela ne te fait pas bizarre de voir plusieurs de tes premiers élèves devenir parents ? »

Moi, je prends un coup de vieux.

Pas de problème, donc. Bon, tout allait bien alors. Ça le rassurait un peu, même en sachant qu'à l'évidence ça ne la laissait pas tout à fait indifférente. Confortablement installé sur le canapé, la clope au bec et les mains croisées sur son ventre, il observa la blonde en train de s'affairer à couper les parts de la pizza, en même temps qu'elle le questionnait sur l'effet que ça lui faisait de voir ses élèves parents.

« Non. Je m'en fiche un peu. »

C'est vrai que c'est toujours un peu étrange de voir ces jeunes adultes qu'il avait connus enfants devenir des parents alors que lui, qui approchait tranquillement de la quarantaine, n'avait jamais eu d'enfant. Enfin, il ne s'en plaignait pas ; il n'en avait jamais voulu. Il avait tout de même un avis assez mitigé là-dessus.

« La plupart d'entre eux le font sans réfléchir. S'ils se sont engagés dans un projet militaire, ce n'est pas pour pondre un môme dès la fin de leur formation. »

Il haussa légèrement les épaules, et ferma les yeux, calme et serein. Il se demandait bien ce que pouvait penser Raphaëlle en ce moment. Si elle se sentait triste, frustrée, ou bien autre chose. Elle demeurait toujours aussi mystérieuse sur ses sentiments et il lui était toujours difficile de savoir comment s'y prendre avec elle dans ce genre de moment.

« T'aurais aimé en faire partie, non ? » Faire partie de toutes ces femmes enceintes qui attendaient avec impatience l'heureux événement. Une question qu'il n'avait jamais posé ouvertement, même s'il s'en était toujours un peu douté.

Un acte irréfléchi, hein... Raphaëlle plissa légèrement les yeux, songeuse. Si seulement elle avait pu, elle aussi, tomber enceinte sur un coup de tête. Se retrouver avec un gamin aurait chamboulé sa vie et peut-être ne serait-elle pas là aujourd'hui. A la question de Neils, Raphaëlle ne répondit pas de suite, trop occupée à imaginer ce qu'aurait été sa vie si elle avait eu un enfant quand elle avait cherché à en avoir un. Elle se vit avec un gamin, sans homme à ses côtés. Une petite fille. Elle se voyait souriante et attentionnée, très complice avec sa fille. Si ça avait été un garçon, elle se voyait mère inquiète avec un casse-cou toujours en train de courir partout. Elle n'aurait probablement jamais consacré autant de temps et d'énergie dans sa carrière, probablement jamais créé l'IAA, ni rencontré Neils...

Sans même s'en rendre compte, la blonde s'était perdue dans ses songes, le regard rivé sur la pizza, sans vraiment la voir. Elle gardait la main à côté du carton, mais semblait ailleurs. Nostalgique, un peu triste, voire même douloureux ; son regard exprimait bien des choses, mais c'était trop compliqué pour l'exprimer de vive voix.

Lorsque Raphaëlle sortie de ses pensées, elle tourna la tête vers Neils et vint se caler contre lui, soulevant son bras pour se glisser dessous et le rabattre sur elle.

« Peut-être bien, peut-être pas. » Elle regarda Boo, puis Neils. « Enfin, quand je vois la relation que tu as avec Boo, je me dis que c'est mieux de pas en avoir. »

Mensonge. Qu'importe la relation qu'il avait avec le chiot, un enfant, c'était totalement différent. Et elle le savait.

À quoi pouvait-elle bien penser ? Il l'observa longuement, visiblement en train de rêvasser, elle semblait complètement ailleurs. Il ne savait pas ce qui pouvait lui passer par la tête en ce moment et ne le saurait probablement jamais. Lorsqu'elle vint se caler contre lui, il n'ajouta rien et l'enlaça. Le fait qu'elle lui réponde un peu à côté de la plaque lui confirma ce qu'il pensait. Sa main de métal se posa sur la joue de la jeune femme qu'il caressa avec le pouce, avant d'aller écraser son mégot sur le cendrier le plus proche pour que les cendres ne tombent pas sur elle.

Instinctivement, il ne pouvait pas s'empêcher de se montrer très protecteur envers elle. À la moindre de ses hésitations, de ses défaillances, il cherchait à la rassurer et à la mettre à l'aise, à lui rappeler qu'elle n'était pas seule. Il écarta sa frange blonde et déposa un baiser sur son front, tranquillement. « J'aime tes cheveux, même comme ça. » À défaut de trouver les bons mots pour lui remonter le moral, c'était déjà mieux que rien.

Ils n'étaient pas un couple parfait. Ou peut-être que si, en étaient-ils un. Malgré la voix aiguë de Raphaëlle qui se levait bien trop souvent, malgré le côté chien de garde de Neils, ils étaient toujours ensemble. Un coup ça allait, un coup ça n'allait plus. Les hauts et les bas n'étaient pas vraiment de ces pointes de bonheur et de malheur, plutôt des loopings réguliers auxquels ils étaient maintenant habitués. Sentant la main de Neils contre elle, Raphaëlle ferma les yeux et se blottit davantage contre lui. Elle comme lui savaient que si elle gueulait et jouait aux grandes dames, elle n'en restait pas moins une femme sensible qu'un rien pouvait blesser. Et elle, de son côté, savait qu'elle pouvait compter sur Neils et son soutient quoiqu'il advienne. La douceur qui régnait dans ses gestes fit sourire la blonde, et elle leva les yeux vers lui à son compliment.

« Mais vivement qu'ils repoussent, n'est-ce pas ? »

Se penchant légèrement, Raphaëlle tendit la main vers la pizza. Elle attrapa une part, faisant bien attention à ce qu'elle de coule pas. Jugeant préférable de prendre un sopalin pour le mettre en dessous, elle attrapa de son autre main un carré de tissu en papier pour soutenir sa pizza, puis elle avança cette dernière en direction de Neils.

« Tu n'as pas faim ? »

Oui, vivement qu'ils repoussent. Il ne cachait pas qu'il la préférait avec ses cheveux très longs, mais savait aussi qu'il ne les reverrait pas avant quelques années. Il avait voulu lui faire comprendre par là qu'elle n'était pas moins belle ou moins attirante, actuellement. Et à l'évidence, il ne l'aimait pas pour ses cheveux, ils n'étaient qu'un détail. Tout en serrant Raphaëlle dans ses bras, il ferma les yeux un petit moment pour respirer son odeur, sentant sa poitrine contre lui. Neils avait beau se montrer affectueux avec elle, il n'avait jamais été très câlin. Si Raph se rapprochait autant de lui, elle savait à quoi s'attendre par la suite.

Lorsqu'elle tendit sa part de pizza vers lui, il ne se fit pas prier pour mordre dedans. Et elle partit rapidement dans son estomac, sans qu'il n'en laisse une miette à Raphaëlle – il y en avait d'autres de toute façon – après quoi il attrapa sa bière pour en boire plusieurs gorgées. C'est vrai qu'il aimerait bien manger autre chose que de la pizza quelques fois. Elle commençait à prendre un goût de déjà vu. Mais il ne fit aucune remarque, un militaire ne se plaint pas. Il reposa sa bouteille et posa ses mains sur les hanches de Raphaëlle, sous la chemise qu'elle portait. Ses mains remontèrent, caressant sa peau en chemin. Si, il avait faim, peut-être plus qu'elle ne l'imaginait.

Raphaëlle, comme elle l'avait pensé, vit la pizza partir en très peu de temps, avalée goulument par un Neils affamé. Mais affamé comment ? Pour quoi ? La blonde se tourna vers la table quand il eût fini de manger sa part et elle tapa ses mains, faisant partir le peu de farine qu'elle avait dessus. Peu après, Neils reposait sa bière et l'attrapait par les hanches, arrêtant la blonde dans son mouvement qui tourna la tête vers lui. Un fin sourire étira ses lèvres, puis elle se pencha en direction du pied du canapé.
Ainsi, elle posa Boo, qui était précédemment descendu, sur l'entrejambe du propriétaire.

« Moi aussi j'ai faim, alors attends que je mange un peu avant, tu veux bien ? »

Ni oui, ni non. Un simple "attend un peu". Raphaëlle avait l'habitude de voir Neils faire le premier pas, surtout que la délicatesse n'était pas son fort. Ni la subtilité. Mais si elle ne mangeait pas avant, elle savait qu'elle allait en avoir pour des heures avant de pouvoir manger, car la dernière fois qu'ils l'avaient fait... ils n'en avaient pas vraiment eu le temps. Chacun était débordé par son travail, et Raphaëlle restait très régulièrement tard le soir au labo pour ne pas perdre de temps. Même s'il était plutôt connu qu'elle passait sa vie à travailler...

Se penchant vers la table, elle attrapa une part et mordit tranquillement dedans. Toujours aussi bonne, bien que ce soit répétitif.

Passer du temps seul avec Raphaëlle était toujours un peu compliqué. Entre lui qui partait souvent en mission pendant plusieurs semaines, elle qui passait son temps au laboratoire, c'était toujours difficile de s'y accommoder. Il voulait profiter de sa présence au maximum avant que la roue ne se remette à tourner. Il la laissa se servir une part de pizza et l'attira vers lui pour qu'elle s'asseye sur ses genoux, dos à lui. Il passa ses bras autour d'elle, le menton posé sur son épaule. « J'ai envie de toi. » souffla-t-il à son oreille pendant qu'elle mangeait. Il n'était pas du genre à y aller avec des pincettes, surtout en sachant qu'il repartirait en mission dès le lendemain. Il commençait déjà à déposer plusieurs baisers dans son cou, enivré par son parfum exotique.

Mordant dans sa part, la blonde ne pu freiner un sourire accompagné d'un agréable frisson lorsqu'elle sentit le souffle de Neils contre son oreille. Elle mangea sa part en silence, relevant juste la tête afin de donner un meilleur accès à son cou. Pour elle, les choses étaient bien différentes par rapport à avant. Elle n'offrait plus son corps qu'à Neils, et faisait confiance à ce dernier pour ne pas aller voir ailleurs. Même si, dans les faits, elle savait qu'elle ne serait pas le genre à péter une durite s'il venait à la tromper. Elle lui rendrait juste la monnaie de sa pièce. Raphaëlle posa sa main sur la sienne, la caressant lentement du bout des doigts. Elle laissa reposer l'arrière de sa tête contre l'épaule de Neils et ferma les yeux, reposant la moitié de sa part qu'elle n'avait pas encore finie. Il savait être convaincant, le bougre.
Il y avait eu des rares fois où Raphaëlle n'avait pas voulu lui faire l'amour. D'autre fois, elle l'avait presque forcé. Cela marchait aussi dans le sens inverse. Tous deux savaient que quoique dise l'autre, une fois lancés, ils ne s'arrêtaient pas. Après tout, c'était par ce biais qu'ils s'étaient découverts et jamais Raphaëlle n'aurait pensé développer des sentiments de cette manière.
La blonde tourna alors la tête vers lui et l'embrassa sur la tempe avant de poser une main sous son menton et remonter son visage vers elle, réclamant un baiser. Juste avant de lui murmurer :

« Je sais, Neils. Je le sais. »

Car oui, elle avait pleinement conscience de l'emprise qu'elle avait sur lui. Tout comme lui devait savoir que c'était réciproque.

 

Et finalement, ce qui devait arriver arriva.
Elle ne pu se retenir davantage et éclata de rire. Loin d'elle l'idée de vouloir gâcher l'instant, mais cela l'amusait tellement d voir Neils se battre avec un chiot à peine plus haut que trois pommes, alors qu'en dehors de la maison, un simple regard lui suffisait pour faire taire le plus couillu des soldats. Raphaëlle plaqua l'arrière de sa main sur son visage, cachant légèrement le rouge de ses joues, et détourna le regard.

« Désolée, mais vraiment... C'est toujours drôle de voir un chiot de quelques mois te faire la misère pire que moi il y a quelques années... »

Une partie de jambe en l'air ? Raphaëlle n'avait clairement pas la tête à ça. Peut-être valait-il mieux attendre la fin du repas, ou que le chiot dorme.