Delilah détestait être affectée aux locaux du semi-hôpital, premièrement parce qu'elle devait superviser les mouflets en formation, deuxièmement parce qu'elle avait en charge les patients les plus ridicules d'EP. Soigner des toux grasses et des constipations n'avait plus rien de palpitant à son âge. Les balbutiements de ses cadets lorsqu'ils attrapaient une seringue ou pratiquaient une incision ne l'émouvait absolument pas et elle ne se sentait pas le besoin de les épauler outre mesure. Ça ne l'empêchait pas en tous cas de le faire avec un rigorisme parfait, consciencieuse des ordres. Ses états d'âmes n'intéressaient personne. Ce qu'on pouvait en tous cas lui reprocher était son manque de pédagogie. Delilah avait toujours été un professeur exécrable et ses peu éloquents "C'est bien" ou "Minable" pour tout commentaires à l'encontre des élèves avaient de quoi décourager.

Se dirigeant vers la salle d'attente où se lamentaient les enrhumés elle ouvrit subitement la porte. Elle ne regarda personne en élevant sa voix douce.

— Ek.

Elle porta un œil douteux sur le registre. Était-ce possible d'être affublé d'un nom aussi court ? La médecin attendit que le concerné se lève et lui tint la porte battante, s'engouffrant derrière lui dans le couloir. Tempes saillantes, front blafard, ce petit brun avait l'air d'un mollusque échoué.

— Migraine ?

Delilah était du genre monosyllabique. Elle jugeait que bruit de ses talons ferait la conversation, sans doute.

Mats se répandit sur ô combien intense était sa douleur. Apparemment il souffrait aussi d'une inflammation des voies respiratoires vu ses éternuements et sa petite voix rauque.

Elle l'écouta déblatérer sans réagir, occupée à scruter les rapports qui lui débordaient des bras. Débouchant avec Mats sur le complexe où s'affairaient silencieusement quelques étudiants, elle l'attrapa machinalement par l'épaule, sans brusquerie, et le conduisit dans une salle isolée où aucun bruit de scalpel ne viendrait pilonner sa pauvre boîte crânienne.

Elle se retourna enfin en fermant délicatement la porte ; un son moelleux se fit entendre avant qu'ils ne soient tous deux plongés dans le calme le plus absolu. Delilah invita Mats à prendre place sur un bout de civière avec un geste du pouce. Sa voix douce s'éleva dans l'air insonorisé.

— Tu as raison. Les femmes sont plus sujettes à la migraine que les hommes.

Elle s'approcha de lui dans la plus grande quiétude, inexpressive, et posa doucement une main sur son front. Il brûlait, en effet. Pour l'heure elle se dirigea vers les armoires, récupéra une poche de glace qu'elle confia au jeune homme afin qu'il l'applique sur son crâne. Sortant avec une parfaite synchronicité deux objets, un de sa poche et l'autre d'un tiroir - respectivement un sachet contenant un bâtonnet et une lampe médicale -, elle lui fit ouvrir la bouche sans forcer, doucereuse, et ausculta trois secondes le fond de sa gorge à la lueur de l'ampoule. C'était un peu gonflé.

— Migraine et rhume. Le gros lot.

Elle posa les outils sur une table aseptisée et se baissa au niveau de ses pieds.

— Et par quelle cheville t'a t-on suspendu ? Demanda t-elle avec neutralité. Pas un instant elle ne se demanda qui avait bien pu lui infliger un tel traitement parmi ses supérieurs.

Sans doute qu'en plus d'avoir été malmené il ne s'était pas ménagé récemment. Dans sa tête Delilah passait déjà en revue le traitement médicamenteux qu'il lui fallait pour l'instant. Pas grand-chose en vérité.