Trois semaines. Cela faisait à peine trois semaines qu'il a posé ses fesses sur le projet. Trois semaines qu'il s'est dit que la vie d'avant ; c'était fini pour lui. Trois semaines qu'il laissait ses yeux dévorer les jupes et autres jolies formes des jeunes élèves en formations. Que ce soit dans sa session ou dans une autre. Pour sûr, la gente féminine était une raison suffisante pour rester en vie. Ou pour oublier quelqu'un.
Quelle heure est-il ? Oh, même pas seize heures et déjà en train de draguer une jeune fille dans la bibliothèque. Rhô, faites pas vos coincés, on est dans les années quatre-vingt dix, les vieux trucs, c'est encore d'actualité.
« Oh tu sais ... Je suis le genre de mecs qui peut s'adapter à toutes ... Formes possibles. »
Il était charmant, il avait un joli visage et il en jouait. Pourquoi attendre un certain âge pour profiter de ça ? Les hormones se sont réveillés très tôt pour son cas. Et ça semble plaire à certaines personnes.
Malheureusement, pour réussir son coup ; faut être dans l'intimité. Et la bibliothèque avait beau être un endroit discret, c'était pas intime pour autant. Donc, la miss aperçu quelqu'un et s'en alla rapidement. Sans prévenir, trop gênée, sans doute.
« Putain, tu pouvais pas jouer les fantômes ailleurs ? J'étais à ça de conclure, bordel. »
En transition entre le monstre et la machine, Agetha passait de l’adolescente rebelle au petit soldat modèle. Lunatisme et versatilité étaient ses meilleurs amis, et ils s’agissaient quasiment des seuls qu’elle possédait. Pour ses études, elle s’était rendue à la bibliothèque, préférant encore les douces pages d’un livre aux nouvelles technologies point and touch curieuses.
L’idée d’aller embêter Kylian ne lui effleurait pas l’esprit, elle lisait, calmement, ses petits yeux bleus allant de gauche à droite suivant les lignes d’écriture. Ah, tiens, voila. Elle le remarquait, le beau brun, rien qu’un peu plus âgé, qui discutait avec une fille. Vous savez, une fille aux jolies courbes, encore jeune mais mieux formée que les autres de sa classe. Agetha, s’approcha, subtilement. Distraite, elle était totalement déconcentrée de son livre.
Son regard inquiétant croisa celui de la victime de Kylian. Un sourire malsain, son sourire de soldat, s’étira sur ses lèvres et, ni une ni deux, la fille disparut. Il ne restait que les deux jeunes élèves. Elle battit des paupières, reprenant un air tout innocent et gentil lorsque le garçon la regarda.
« Toi, putain ! T’avais qu’à aller conclure ailleurs ! En plus, cette fille-là est trop conne ! »
Mine de rien, elle ne parlait pas de trop fort. Diable, ils étaient quand même dans une bibliothèque !
Hein ? Elle délirait ou bien ? Rattraper le coup ? Mais ça n'existe pas ce mot, chez lui. C'est soit maintenant, soit jamais, mais en aucun cas plus tard. C'est comme si t'avais une promo, soit tu l'acceptes aujourd'hui, soit elle te passe sous le pif. Eh bien Kylian agit et réagit de la même manière.
« Bon, ça fait seulement trois semaines qu'on s'cause alors ... Sache juste que si j'ai pas ce que je souhaite maintenant, je passe rapidement à autre chose. »
Il poussa un léger soupir, prenant au pif un livre pour faire semblant de le feuilleter, histoire de ne pas éveiller les soupçons du gérant de l'endroit. Et tant qu'à faire, autant s'approcher de la miss briseuse de plan. Juste lire quelques mots lui donnait mal au crâne. Il a toujours préféré les maths.
« Je te jure que tu vas corriger ta bêtise, sinon je te saute dessus ici-même. »
... Il est jeune. Donc sa connerie est multipliée par cent. Vivement l'âge adulte.
Kylian, ou un petit nouveau qui pétait plus haut que le cul, quoi. Agetha s’appuya contre l’étagère, lisant une ligne sur deux, préférant discuter à voix basse avec son ami. L’adolescente grimaça. Déjà, elle ne comprenait pas pourquoi Kylian ne pourrait pas, éventuellement, revoir la fille pour la trainer dans son lit. Était-ce si difficile ? Va savoir, ce n’était pas comme si elle avait déjà tenté le coup avec qui que ce soit.
« Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ? C’pas ma faute si ta nunuche a eu peur de moi. »
Bien sûr, ce n’était pas parce qu’elle agissait de manière un peu dingue voire un peu louche et qu’elle était plus grande que les autres qu’il fallait avoir peur, si ? Naaah. Elle plissa le nez, ne cédant pas à la panique sous les si terribles paroles de Kylian. Agetha tourna une page de son livre, opina du menton dans sa direction.
« T’es con, toi. C’est pas comme si tu te souciais de qui que ce soit, et moi non plus. »
Elle sourit, étouffant un petit rire. Sur le coup, elle se retourna pour regarder entre les étagères, histoire de voir s’ils se faisaient repérer par le bibliothécaire ou pas.
Putain l'effrontée. Mais regardez-la avec son air de miss j'ai réponse à tout. Le pire, c'est qu'il a tenté de la déstabiliser ; c'est raté. Cette nana a autant de caractère qu'une secrétaire ultra stricte, peut-être pas autant. Pas encore, du moins. Étrangement, il la voyait bien dans ce rôle ... Secrétaire. Mini-jupe ... Un truc en rapport avec l'administration, quoi.
« Oh oh, je n'ai pas entendu un "non", dois-je conclure que si je tente un truc, tu accepterais ? » Il s'approcha, l'air de rien, pour mieux poser le livre sur une étagère quelconque. « J'ai beau être con, je sais au moins profiter jusqu'à ce que je n'ai plus l'âge de le faire. »
Appuyé sur l'étagère et étrangement sûr de lui. Kylian n'a jamais manqué de confiance en soi, il sait que le charme et l'assurance passe d'abord par là. Commencez par avoir ces aptitudes et là ; vous serez un chef suivi et apprécié de tous. Voir même, plus que ça.
« T'as peur qu'on te voit avec le pauvre nouveau dragueur que je suis ? »
Il nie absolument rien, puisque tout est vrai. Enfin quelqu'un qui ne dément pas ce que les autres voient.
Ses yeux s’écarquillèrent, surpris, alors qu’ils parcouraient les écritures du livre. Agetha inspira puis reprit un air neutre avant de regarder Kylian, comme si de rien était. C’était bizarre, parce que depuis qu’il était arrivé, depuis trois semaines, il ce n’était encore jamais tourné vers elle. L’adolescente pensait être épargnée, mais hélas, le voila qui jetait son dévolu sur elle. Pour passer rapidement à autres choses, ah ça…
« Parce que j’ai l’air de quelqu’un qui se soucie de ce que pensent les autres ? »
Elle tira la langue. Un peu plus tôt, cela aurait été la pure et simple vérité. Elle crachait sur tous ceux qui la critiquaient, faisait un beau gros doigt d’honneur aux adultes qui voulaient l’encadrer. Mais depuis quelques mois, c’était elle qu’on tentait d’enfoncer dans un moule, celui du soldat parfait. Ça ne marchait pas encore très bien mais, mine de rien, la petite Agetha se laissait peu à peu influencer.
« Essaie tes trucs, pour voir. »
Elle ferma son livre, sérieuse. Que la partie commence…
Ca allait trop loin. Soudainement, une prise de conscience venait le prendre. T'es sûr de vouloir te mettre une autre fille sur le dos ? T'es sûr de pouvoir t'empêcher de la faire rêver pour ensuite mieux la jeter ? Parce que oui, Kylian est un Sébastian Valmont des temps modernes. Le genre de mecs qui agissent seulement dans un intérêt qui peut gonfler leur ego. Et charmer chaque jeunes filles qui se présentent à lui, qu'il trouve à son goût, était un parfait moyen de le faire. Mais trop tard.
« Ah ouais ? Agetha est prête à grandir ? » il se redressa pour mieux lui faire face, il ne reculera pas. « Ferme les yeux, je ne ferais rien de méchant. »
Il attendait qu'elle s'exécute pour mieux vérifier les alentours. Personne ne regarde, personne dans le coin. Détail vérifié, il se pencha et bascula légèrement vers l'avant pour coller ses lèvres sur les siennes. Sans brusquer, sans se précipiter, pour mieux faire durer l'instant.
Tout ça en y allant doucement. Un simple contact par les lèvres, dont il a prit soin d'humidifier légèrement pour rajouter un peu de sensualité. Sale dragueur, va.
« Et ça, l'étape un. Etape suivante ? »
Juste pour ne pas perdre la face, il irait contre sa propre conscience. Pauvre fou, va.
Ça ne paraissait pas si pire que cela. En réalité, les garçons ne l’intéressaient pas, pas plus qu’ils s’intéressaient à elle. La situation devenait curieuse, bizarre. Agetha soupira et ferma les yeux, croisant ses bras sur sa poitrine, tenant toujours son livre. La jeune fille possédait, depuis toujours, une curiosité aussi malsaine que son sourire. Elle voulait savoir, expérimenter… Et voila que Kylian se proposait !
Elle se crispa, mais ne recula pas –il ne fallait pas qu’il se moque d’elle après, hein. Ses yeux demeurèrent clos, et le reste de son corps, figé. Blergh, c’était quoi ça ? C’était nul, ouais. Agetha s’attendait à mieux. Les autres filles parlaient d’étoiles et de papillons. Pour l’instant, ce n’était que de la salive. Leurs lèvres se décollèrent et ses yeux se rouvrirent.
« C’est quoi l’étape sui… »
Elle fronça les sourcils, en train de cogiter. Agetha regarda Kylian puis, sans prévenir, lui colla un coup de jointures sur l’épaule. Au passage, elle passa le revers de sa manche sur ses lèvres pour les essuyer.
« Tu feras pas le con, on reste potes, hein ? »
Ce n’était pas qu’elle ne possédait pas beaucoup d’amis, mais… Mine de rien, elle l’aimait bien, Kylian.
Et le voilà en train de rire. Pour sûr, la réaction de la jeune fille l'a bien amusé. Sérieusement, il ne fallait pas s'attendre à grand chose venant de sa part ; mais plus à quelque chose de vif et de tenace.
Le coup qu'il venait de se prendre ne lui faisait pas mal, au contraire, il en avait besoin pour se remettre en place. C'est bien, au moins, il aura une relation stable dans sa vie.
« T'en fait pas va, je baise pas n'importe quoi. » Oui, non. 'Fin, cette phrase avait plusieurs sens, va savoir lequel elle va prendre. « Mais t'as pas l'intention d'avoir un mec, un jour ? Evite de sortir avec un robotech, c'est ennuyant à force. »
En clair ; le genre de mec qui ne semble pas avoir de volonté propre. Vous savez, ceux qui osent rien faire sans l'avis de l'autre, ceux qui attendent toujours un feu-vert. Ceux qui n'ont aucune initiative, pardi ! Kylian sait que jamais, il ne sera de cette catégorie. Il est trop ... Réactif.
« De toute façon, c'est juste un jeu pour moi, j'aime pas avoir un truc nocif dans la tête, ça m'empêche de vivre. »
Monsieur est susceptible de faire des crises d'angoisses et pour les éviter ; il doit se changer les esprits. Le plus souvent possible.
Agetha n’apprécia pas que son ami se moque d’elle. Froncement de sourcils et lèvre avancée, la jeune fille fixa Kylian avec un air simili-méchant –oui, parce qu’à 14 ans, avec ses joues encore toutes rondes, ce n’était pas très crédible, avouons-le. Elle plissa le nez, peu enjouée à l’idée de se faire baiser et/ou de se trouver un mec. Et puis franchement, un robotech, sérieusement ? Les adultes étaient tous comme ça, droits comme des piquets et obéissants comme des chiens. Ils faisaient pitié à voir. Agetha ne voulait pas devenir comme cela, et pourtant…
« Je veux pas avoir de mec. Après je vais tomber enceinte et devenir obèse ! »
Superficiel mais vrai. La jeune blonde hocha la tête et reposa, à son tour, son livre sur l’étagère avant de s’écarter dans l’allée, histoire de taire les soupçons du bibliothécaire. C’est qu’il avait du en voir des choses se passer entre ses étagères ! Néanmoins, elle resta près de Kylian, l’incitant silencieusement à s’éloigner avec elle.
« Oh, mais je savais déjà que t’avais rien dans la tête. »
Elle eut un sourire malin, pommettes hautes. Elle vint pour rajouter autre chose mais, voyant qu’ils ne se taisaient pas, le gérant de la salle vint vers eux et les jeta impunément dehors. Ahlala… Agetha roula les yeux au ciel, ayant oublié son livre à l’intérieur mais… Bon, tant pis. Elle attrapa la manche de Kylian, comme ça, instinctivement.
« Regarde là bas, c’est la fille que tu dr… Hey ! Pourquoi elle me regarde comme ça ?! »
Agetha leva sa main libre et fit un doigt d’honneur à l’autre fille. Ça, c’est fait.
Olé. Ca devenait un tantinet chiant sur le coup. Les filles sont vraiment des créatures bien trop compliquées et trop chiantes à suivre. Elles sont bonnes pour une soirée, sans plus. Kylian se voyait pas du tout faire sa vie avec quelqu'un. Les hommes ? Ah ah ah. Son corps lui plaît assez pour assouvir son côté homosexuel. Les femmes ? Trop prises de têtes. Il tient à sa liberté.
« J'aime quand les chiennes montrent leurs crocs. » Oui oui, il a bel et bien dit "chienne". « Ca prouve que j'aurais pas à sortir le grand jeu pour la baiser, plus tard. »
Si la miss est déjà jalouse, c'est que c'est dans la poche. Que pouvait-il en tirer d'autres, comme conclusion ? Après tout, Agetha n'avait pas tort. Il pourra abuser d'elle plus tard, quand les circonstances seront plus en sa faveur.
« Entre nous, tu places ton avenir dans le projet ? »
Autant poser la question à quelqu'un qui n'est pas dans sa tête.
Kylian en devenait presque vulgaire ! Une petite fille se serait sans doute déjà sentie insultée, mais Agetha n’en avait rien à faire. Le garçon pouvait bien dire et faire ce qu’il voulait, après tout. Ce n’était pas son problème. Néanmoins, elle ferma les yeux lentement, presque déconcertée par l’attitude de son ami. C’était à croire que Kylian venait en cours que pour chopé des filles… C’était sans doute cela, oui.
« C’est crade ton truc. »
Agetha rajusta sa queue de cheval, passant son chemin lorsque l’autre fille lâcha une insulte à son égard. La jeune blonde lâcha la manche de Kylian et tourna le couloir au coin. Elle souffla, dépassée par la question.
« J’en sais rien, j’ai pas trop le choix. Je ferme ma gueule et fais ce qu’on me dit pour qu’on me laisse tranquille. Ça marche plutôt bien jusqu’à maintenant. »
« ... Toi, soumise et obéissante ? » C'est la seule chose qui lui soit venu à l'esprit. « Juste pour ça, je vais monter en grade pour pouvoir te donner des ordres malsains ~ »
Faut dire que la voir en mode "oui monsieur" serait franchement amusant, quand on connait la miss qui fout des doigts d'honneur à tout va, des insultes à l'arrache et au comportement agressif, de temps à autre. Non vraiment, ça peut être amusant, tout comme ça peut être humiliant. Mais la pauvre, elle est obligée de changer.
« M'fin, j'espère que le projet ne va pas m'enlever ma chieuse préférée, je risque de me faire chier, sinon. »
Si tu savais, Kylian. Si tu savais tout ce que le projet va t'enlever, tu serais sans doute le premier à le détester.
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