Tenir une boutique telle que la sienne, dans un lieu pareil, n’avait rien de très éprouvant. Cela ne voulait cependant pas dire qu’elle manquait de clientèle, oh non. Après tout, les fleurs étaient un bon moyen de se faire pardonner, de faire plaisir ou de simplement égayer une pièce, ou encore une chambre d’hôpital. Autant dire donc qu’elle n’avait pas de souci à se faire pour son commerce, qui vivait sans trop de mal.

Trier les fleurs, jeter celles fanées; couper les tiges, les mettre dans des vases, assorties si possible. Voilà de quoi avait été faite sa matinée. Une tâche répétitive et ô combien lassante, à laquelle la demoiselle était habituée depuis le temps, ses mouvements devenus presque des réflexes, automatiques et précis, et ce malgré sa vue plutôt bancale. Et autant dire que c’était un avantage. Avec une maladie comme la sienne, ses problèmes de concentration à long terme et la fatigue en résultat, Apolline avait longtemps cherché ce qu’elle pourrait bien faire de sa vie, parfaitement consciente que suivre les traces de ses parents était un rêve inatteignable. Alors oui, fleuriste, c’était mieux que rien. Et vivre entourées de belles choses telles que les fleurs n’était pas désagréable.

Son sécateur dans une main, l’autre alignant les tiges de roses fraichement arrivées histoire de pouvoir les couper, elle entendit finalement la clochette de la porte tinter. Lâchant un soupir, elle déposa le tout et retira ses gants de jardinage –s’avérant quelque peu maladroite parfois- pour ensuite se tourner vers l’entrée. Et là, la demoiselle eut toutes les peines du monde à retenir une expression désappointée en voyant la personne qui venait d’entrer. Oh, ce n’était pas qu’elle ne l’appréciait pas, mais ce jeune homme ici présent avait le don de la mettre profondément mal à l’aise. Au fond, elle se doutait bien qu’i n’avait surement pas pensé à mal, cette fois-ci, mais elle n’y pouvait rien. Elle ressentait le besoin de s’éloigner de lui, histoire d’échapper aux questions indiscrètes et regards indélicats. Après tout, sa maladie n’avait jamais été un sujet plaisant à aborder, quand bien même elle vivait très bien à présent.

« Comme tu vois, je suis débordée. » Et les lieux étaient vides.
Lèvres pincées, sourcils légèrement haussés. La remarque vaguement piquante lui avait échappé bien malgré elle. Le dévisageant longuement, elle finit par pousser un soupir, rejetant derrière son épaule sa longue tresse, avant de resserrer son tablier. « Je peux faire quelque chose pour toi ? Un bouquet, quelque chose ? » Il venait forcément pour ça, hein ? Une petite-amie, n’importe qui. Juste pour les fleurs.

Parce qu’elle n’était pas certaine de vouloir lui parler. C'était foutrement idiot d'ailleurs, et la voilà qui jouait avec un stylo posé sur le plan de travail. Histoire d'oublier la nervosité. Dieu qu'elle se sentait stupide.

Blanche-Neige avait quelques remords à l’accueillir de la sorte. Ce pauvre garçon n’était pour sûr pas un mauvais bougre. Simplement, il avait réussi à toucher un sujet sensible, trop sensible pour la demoiselle, et elle n’avait rien trouvé de mieux pour se défendre que de lui fuir. Pas très glorieux, elle devait bien en convenir. Mais jamais elle n’avait prétendu être particulièrement courageuse ou vaillante. Et malheureusement pour lui, elle s’avérait également avoir la rancune plutôt tenace, le tout couplé à un caractère quelque peu… borné.

Lorsqu’il lui avoua être là pour elle, elle ne put s’empêcher de sentir ses joues s’échauffer un peu, se maudissant dans la seconde. Dieu qu’elle pouvait haïr cette tendance qu’elle avait de rougir pour tout et pour rien, trop sensible qu’elle était. Car oui, bien malgré elle, Apolline faisait partie de ces gens qui s’embarrassaient pour un rien, de quelques mots, n’importe quoi.
Cependant, bien décidée à ne pas se laisser décontenancer si facilement, la demoiselle fronça les sourcils et lança un regard contrit au pauvre Perceval, attendant qu’il s’explique, puisque c’était ce qu’il semblait désirer faire. Et l’évidence qu’il lui énonça lui arracha un soupir presque agacé.

« T’as du cogiter longtemps pour arriver à cette conclusion ? » Il devait surement la sentir, cette rancune qui troublait sa voix en cet instant. Puis, le ton de sa réplique était assez clair. Oui, elle lui en voulait, mais pas besoin d’être un génie pour s’en rendre compte, oh non.

Enfin, elle ne pouvait pas le laisser comme ça, dans ce silence. Parce qu’au fond, elle était trop gentille, bien trop, et se retrouvait partagée entre sa rancune tenace et l’envie de lui pardonner, trop peu friande de conflits idiots de ce genre. Que faire ? Elle n’en savait fichtrement rien, et fini par river son regard sur les roses devant elle, histoire d’arrêter de le fixer sans un mot.

« Enfin. Oui je t’en veux. Peut-être beaucoup, je sais pas trop. » Et elle se tut, triturant quelques mèches blanches s’étant échappées de sa tresse. « Disons que c’était vraiment très indélicat. Et très embarrassant. » Les lèvres pincées, elle releva les yeux vers le militaire, toujours aussi embêtée. Ce n’était pas si facile que ça d’admettre ses failles, hein.