On va terminer par un petit concours. L'animal qui tiendra le plus longtemps sur ses pattes arrière. C'est parti !

Gabrielle aimait bien terminer ses cours par un jeu. Cela détendait les chiens et cela forçait la compétitivité des maîtres. Et puis les dernière année s'étaient montrés remarquables aujourd'hui. Elle profita du concours pour ramasser la partie du matériel qu'elle avait sorti pour ses démonstrations, elle laisserait le soin aux perdants de ranger le reste. D'un oeil vigilant, elle surveillait la bataille.

Rubis, disqualifiée !

Un soupir de la part du maître, c'était la faute du chien. La femelle avait été déconcentrée par un papillon. Gabrielle ne faisait pas de faveur. Sur le terrain, il n'y en aurait pas. Au bout de quelques minutes, il ne restait plus que deux participants : un garçon et une fille, pour les chiens comme pour les maîtres. La rouquine sortit une friandise de sa poche et la lança en l'air. La femelle sauta pour l'attraper.

Aaron remporte la victoire ! Les autres, on range ! Merci à tous.

Gabrielle appelait souvent les chiens plutôt que les maîtres, surtout quand l'exercice repose sur l'animal et qu'il en est le principal acteur. Mais si le maître faute, c'est son prénom qui sortira de la bouche du professeur.

Les élèves rangeaient le matériel, à part la propriétaire d'Aaron. Gabrielle s'avança vers elle avec un sourire.

Bien travaillé encore une fois, Drathir !

Elle aimait cette formation, elle aimait ces entraînements, elle aimait les chiens et en particulier le sien. Elle aimait gagner. Tout simplement. Perfectionniste dans l’âme, la jeune femme avait pris soin d’exécuter à la perfection les moindres demande de leur instructrice, elle avait félicité le Berger Allemand à ses pieds à chaque fois qu’il fournissait un travail exemplaire et elle en était ravie. Et puis Gabrielle s’était amusée à lancer ce concours, ce qui avait aussitôt ravivé l’esprit de compétition bien présent dans le caractère naturel de la blonde. Un sourire amusé aux lèvres, trop confiant diraient certains, Drathir avait alors claqué des doigts en l’air tout en donnant l’ordre à Aaron de se tenir sur ses pattes arrières. La militaire prenait soin de claquer régulièrement des doigts sans le quitter des yeux, s’assurant ainsi l’attention de l’animal et lui rappelant que l’ordre ne prenait toujours pas fin. Un moyen d’éviter qu’il ne soit distrait par un papillon, comme ce fut le cas pour l’un des participants.

Bien vite il n’y eut plus que deux participants, elle et un jeune homme mais elle ne se soucia pas de lui, pas une seule seconde, bien trop concentrée sur son chien. Si bien que ce dernier tint le plus longtemps, sa maîtresse captant son attention une ultime fois pour lui éviter de se jeter sur la friandise, obtenant ainsi la victoire et octroyant un sourire sur les lèvres de la blonde. Satisfaite elle baissa alors la main, Aaron y voyant le signe qu’il était enfin tranquille mit fin à cette position ô combien agaçante pour lui, et elle s’agenouilla face au chien, allant le flatter avec affection. Brave bête. Le provocant avec une friandise qu’elle dévoilait puis cachait à la vue de l’animal, ce dernier se tint un instant tranquille, docile au possible, avant de comprendre le jeu et de chercher à récupérer de lui-même le bonbon. Une récompense amplement mérité. Et alors que la jeune femme caressait encore son animal, ce fut Gabrielle qui vint à sa rencontre alors que les autres rangeaient l’équipement comme en guise de punition. Se redressant, grand sourire aux lèvres, elle répondit alors en employant le vouvoiement. Une marque de respect qu’elle destinait à la brune et à elle seule.

« Merci beaucoup, j’aime ces jeux à la fin de vos cours, ça ravive l’esprit de compétition et ça incite à se surpasser en se comparant aux autres. En tout cas c’est ce qui se passe pour moi. »

Elle ignorait si ses camarades voyaient les choses ainsi également. De son côté elle tenait à être la meilleure de sa promotion, un objectif comme un autre qu’elle mêlait au plaisir qu’elle tirait à travailler avec son chien. Ce dernier avait d’ailleurs aboyé en voyant Gabrielle s’avancer mais, d’un signe, la jeune femme l’avait incité à se calmer et se coucher, ce qui faisait que l’animal se trouvait désormais docilement à leurs pieds. Profitant de la présence de son instructrice, Drathir jeta alors un regard vers elle afin de souffler, et surtout de demander.

« C’est un bon chien, bien plus loyal envers moi que pourrait l’être quiconque. C’est ce qui me pousse à travailler au sein de cette formation je suppose… C’est ce qui vous a fait revenir également ? »

Gabrielle était un Maître-Chien et cela on ne pouvait lui retirer, mais il était connu qu’elle avait fait une pause, pour ainsi dire, dans ce travail pour se tourner vers autre chose. Et finalement revenir en tant qu’instructeur, il y a de cela deux ans. La blonde ignorait un peu ce qui avait pu pousser son interlocutrice à revenir travailler dans ce domaine : la passion lui semblait être la réponse la plus plausible mais elle préférait demander, ce qu’elle n’avait jamais fait jusque-là. Bien que son sourire léger, et l’habitude que pouvait avoir Gabrielle à la côtoyer, montrait clairement qu’elle ne s’offusquerait pas devant une absence de réponse. On avait tous sa vie, ses secrets, ses raisons pour en arriver à tel ou tel point. Drathir n’était pas de ceux qui arrachaient les confessions, poussés par une curiosité presque maladive.

Gabrielle aimait bien Drathir. Elle était toujours appliquée et perfectionniste. Si elle ne parvenait pas à quelque chose, elle réessayait toujours, sans rechigner, sans jamais râler ni souffler. En plus, elle avait une bonne relation avec son chien et c'était l'une des meilleures choses pour un maître-chien.

C'est exactement le but recherché. On vous a toujours dit de vous surpasser, je m'assure que vous avez toujours cette envie. Contente de voir l'effet escompté.

Gabrielle l'écouta parler de son chien. En soi, elle était assez d'accord. Si elle-même avait choisi la formation de maître-chien, c'était pour ne pas se sentir à nouveau lâchée par quelqu'un, comme elle avait pensé (au tout début) que ses parents l'avaient abandonnée. Et puis au fur et à mesure, c'est devenu une passion. Une passion dévorante, un amour inconditionnel avec son animal. Un amour qu'il a fallu partager par la suite. En deux, en trois puis en quatre. Mais ses animaux avaient toujours bien supporté cette répartition.

Et puis elle avait arrêté son travail pour se concentrer pour autre chose. Et puis l'année passée, elle s'était décidée à revenir. Parce qu'Annie était à présent élève et parce que malgré tout ce qu'elle pourrait dire à ce sujet, le plaisir de son métier de maître-chien lui avait manqué.

J'ai toujours voulu transmettre mes connaissances aux plus jeunes générations, plus qu'à être sur le terrain. Et puis avec des élèves comme cette promo, c'est toujours un plaisir de venir ici pour vous faire souffrir !

L'Irlandaise n'avait la réputation d'être l'instructeur le plus tyran de l'école, mais elle savait faire transpirer les élèves comme les chiens quand il le fallait. Après tout, le projet avait la réputation de l'élite, il fallait garder cette réputation et faire sortir les meilleurs éléments.

Tu as déjà réfléchi à ce que tu allais faire à ta promotion ? Je suppose que tu voudras te lancer immédiatement dans les missions avec Aaron, n'est-ce pas ?

La jeune femme s’autorisa un sourire face au discours de son interlocutrice. Evidemment la compétition c’était important, elle l’avait bien compris et avait également de bonnes idées pour stimuler ses élèves sans pour autant créer des malaises ou une ambiance quelque peu malsaine durant les cours. Malgré le sérieux de la chose, cela restait bon enfant mais avec la fin de sa formation qui approchait, la blonde se doutait que cela ne le resterait pas éternellement. Quoi qu’il en soit le sourire de Drathir se transforma en rire, léger, quand Gabrielle parla de son plaisir à enseigner mais surtout de son plaisir à faire souffrir ses élèves. A ses yeux, l’instructrice n’avait jamais été un tyran, loin de là, surtout lorsque l’on comparait aux autres. De son côté elle avait de toute manière plus de mal avec les hauts gradés que les divers instructeurs de l’île car s’il lui semblait logique de se faire rabrouer par ses professeurs, elle avait un peu plus de mal avec les autres. N’étaient-ils pas suffisamment occupés pour avoir autre chose à faire que de repasser derrière des élèves parfois ? Qu’importe, la jeune femme se sentait déjà obligée d’exprimer son point de vue, toujours ce sourire gravé sur le visage.

« Vous n’êtes vraiment pas la plus sadique et puis je trouve normal de pousser les élèves à faire preuve d’un peu de perfectionnisme. Si le projet était insignifiant ou bancal ça se saurait, il faut former de bons éléments. »

Et pas besoin de la motiver pour en être un, elle le désirait déjà. Non pas pour la gloire qu’elle pourrait en tirer, peut être une pointe de satisfaction à l’idée d’être la meilleure mais rien de plus. Le but premier de ce perfectionnisme est bien d’éviter d’être emmerdée, d’être reprise, critiquée ou tant d’autre choses. Accessoirement avoir les meilleures performances permettait également de rembarrer les divers camarades hautains que pouvait contenir l’île. Etre au-dessus des autres lui offrait une sorte d’immunité chère à ses yeux et elle avait parfaitement conscience qu’il fallait se donner à fond pour obtenir cette immunité, justement. Mais déjà la blonde délaissait sa rêverie au profit de la question que lui posa son interlocutrice. Ce qu’elle comptait faire une fois la formation fini ? En vérité elle ne s’était jamais vraiment posé la question, il était évident qu’elle ferait des missions, voulant voir ce que c’était de passer dans la cour des grands de manière officielle. Mais avant tout ça, il y avait quelque chose de plus important.

« Mon appartement, c’est la première chose que je veux et pas qu’un peu. Etre tranquille chez moi avec Aaron qui serait enfin constamment dans les parages. Cela avait été dit sur le ton de la plaisanterie, cela n’en restait pourtant pas moins vrai. Elle avait toujours du mal à laisser son chien au chenil ou de se retrouver contrainte de le délaisser à partir de certains horaires. Mais sinon les missions oui. Je les attends et en même temps je les redoute. On a beau se préparer, au fond on l’est jamais vraiment tant qu’on n’a pas expérimenté, je suppose. »

Si Gabrielle était la seule à avoir le droit au vouvoiement respectueux et si rare à obtenir de la part de Drathir, elle avait également le droit à des aveux. Ce genre de confessions, sur ses doutes, ses craintes, les questions qu’elle se posait aussi. Après tout Gabrielle était son instructrice, présente pour aider bien plus que pour faire souffrir malgré ce qu’elle en dit, aussi la jeune femme n’hésitait pas à se confier, à récupérer des avis auprès de cette personne qui, elle le sait, ne la jugera pas. Et puis la brune était passé par là elle aussi, elle devait probablement comprendre. Quoi qu’il en soit, une nouvelle question passa le barrage de ses lèvres.

« Pour le chien aussi ça doit être étrange je suppose, ça change de l’ambiance sur le terrain d’entraînement. »

Être sadique n'était pas dans la philosophie de Gabrielle. Elle préférait faire travailler ses élèves assez pour qu'ils transpirent autant que leur animal mais aussi pour qu'ils puissent encore vouloir revenir le jour suivant sans se dire qu'ils allaient avoir cours avec le tyran de la formation. Douce mais strict, c'était son crédo.

L'Irlandaise sourit en entendan la réponse de son élève. Un appartement. La première étape de la promotion. Elle se rappelait de l'appartement qu'elle avait eu lorsqu'elle avait fini sa formation. Quelque chose de simple mais où elle pouvait très bien vivre, malgré la présence de son animal. Elle se souvenait aussi l'avoir très vite quitté pour emménager chez Simon qui avait le droit à la class au-dessus, beaucoup plus confortable.

Ah l'appartement. Tu as de la chance, tu seras avec Aaron. Personnellement, je ne sais pas comment j'aurais fait sans mon compagnon de l'époque... Vivre seule dans un appartement, ça doit être étrange.

Pourtant, elle savait très bien ce que c'était de vivre dans une maison vide, depuis le départ d'Annie sur EP-2. Heureusement, il y avait encore Jake et Heko, les résistants qui ne l'avaient pas abandonnée, et bien sûr de temps en temps sa fréquentation, mais c'était quand même une sensation particulière.

On n'est jamais trop prêt pour une mission. Généralement, c'est le contraire. Même ceux qui se disent prêts ne connaissent pas la réalité de la chose. Mais c'est quand même quelque chose à faire au moins une fois. Surtout avec son meilleur ami. Ca renforce en quelque sorte plus les liens.

Gabrielle n'était pas malheureuse d'avoir arrêté de partir en mission, mais elle devait avouer que parfois, cela lui manquait un peu. Mais elle avait d'autres priorités à présent.

Le chien est un être vivant comme toi et moi. Malgré ce que la plupart des gens peuvent dire, j'aime à penser qu'ils ont des sentiments et une conscience, un peu comme nous et qu'ils doivent aussi se préparer pour les situations missions qui sont bien différentes des situations vues en entraînement. Il a aussi les sentiments de son maître et des personnes au alentour à gérer et il n'a pas le droit à l'erreur, un peu comme nous...

Le regard de Gabrielle se perdit sur les étudiants qui finissaient tout juste de ranger le matériel. Ils s'étaient regroupés en face d'elle et elle avait fini le cours. Heko, qui était présente depuis le début mais qui n'avait encore rien fait tapa la main de sa maîtresse du museau. Cette dernière lui gratta la tête avant de se tourner vers Drathir.

Je pense qu'Aaron et toi ferez une très bonne équipe l'année prochaine.

Drathir préféra garder le silence un instant, méditant ainsi sur la remarque tout juste formulée. Est-ce que vivre seule dans son appartement la dérangerait ? Tout comme cela aurait dérangé Gabrielle si elle n’avait pas eu son compagnon de l’époque. A priori non. La jeune femme ne faisait pas partie de ces personnes qui avaient besoin d’être constamment entourés pour se sentir bien. Si elle n’avait rien contre la compagnie, à partir du moment où celle-ci était bonne, elle tenait tout de même à sa solitude et ne craignait nullement de se retrouver dans une pièce sans personne d’autre pour se tenir à ses côtés. Elle n’avait besoin de personne pour vivre, c’est ce qu’elle se plaisait à penser. Et puis comme le signalait son instructrice, il y aurait toujours à Aaron, qui incarnerait ainsi une présence agréable. Délaissant ses pensées, la demoiselle préféra plutôt les offrir à son interlocutrice, dans un haussement d’épaules désinvolte. Elle ne s’inquiétait pas vraiment pour tout ça, au contraire elle avait hâte.

« La solitude n’est pas quelque chose qui me fait bien peur. Et je pense que ça doit être plus compliqué de vivre avec quelqu’un. »

La vie de couple avait déjà quelque chose de compliqué et l’un des caps à passer dans ce genre de relations c’est bien le fait d’emménager ensemble. Côtoyer quelqu’un de temps en temps, même tous les jours, est bien différent que de vivre avec lui vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les défauts sont souvent plus visibles et en deviennent exacerber, les efforts à fournir sont plus conséquents et enfin l’on peut dire adieu à cette solitude tant désirée. Tout du moins étais ce ainsi que la blonde voyait les choses, n’ayant jamais eu l’occasion d’expérimenter, elle n’était de toute manière pas particulièrement pressée de le faire. Mais qu’importe, déjà un autre sujet était abordé, à savoir celui des missions. Drathir écouta avec attention sa comparse, vrillant ses prunelles d’émeraudes dans celles de son interlocutrice. Il était évident que les missions étaient quelque chose à expérimenter, de toute manière elle ne s’était pas amusée à suivre une formation de huit ans pour ensuite se tourner les pouces. Cela restait délicat, dangereux et imprévisible, aussi était-il difficile de vraiment y être préparé, comme le disait si bien l’instructrice. La jeune femme se retrouva donc à approuver d’un signe de tête les propos ainsi offerts, avant de poser une question à son tour.

« Les missions vous manquent-elles ? Vous y avez renoncé il y a un moment déjà, vous regrettez ? »

Après tout en tant que formatrice des futurs Maître-Chien, Gabrielle ne devait plus avoir le temps de partir en missions. Et vu qu’elle avait également passé un grand nombre d’années à pratiquer une toute autre activité, l’on pouvait facilement dire que cela faisait un moment qu’elle n’était pas partie sur le terrain avec ses propres chiens. Cela lui manquait-il ? Ou au contraire en était-elle soulagée ? Plongée dans ses pensées, cela n’empêcha pas Drathir de prêter attention au discours de sa compagne sur les sentiments des animaux qui les accompagnaient. Elle ne pensait pas différemment, évidemment que le chien leur ressemblait, il devait être perturbé par l’ambiance qui changeait radicalement, perturbé également par la tension que devait ressentir son maître. Cela et tant d’autres choses encore. Malgré tout ça, l’Irlandaise alla toutefois complimenter la blonde, en lui annonçant d’ores et déjà qu’elle ferait une bonne équipe avec Aaron. Souriant face à la remarque, la jeune femme ne put s’empêcher de répondre dans un souffle.

« Merci. J’espère bien être à la hauteur. A la hauteur de ses espérances, de ses ambitions. A la hauteur afin d’en ressortir satisfaite, fière. A la hauteur pour pouvoir se dire que le parcours déjà réalisé n’aura pas été vain. Elle avait décidément un peu trop de choses à se prouver, mais elle préférait ne pas y penser. Pas trop, en tout cas. Et finalement une autre question passa le barrage de ses lèvres. Si la curiosité était clairement distincte, l’on devinait également que l’Irlandaise saurait tolérer un refus. Gabrielle n’était en aucun cas obligée de répondre, elle ne s’en offusquerait pas. Vous pensez que tous méritent de finir la formation ? Je ne vous demande pas de citer des noms bien sûr. »

La blonde peinait en effet à savoir si tous méritaient un futur grade, si tous méritaient de partir sereinement en mission. Trop occupée à se soucier de ses propres performances et ses propres problèmes qu’elle en oubliait parfois de jauger ses camarades. Ce n’était, de toute manière, pas à elle de le faire.