Une vraie chieuse ;
C'est tout ce qu'elle était ;

Manipuler, corrompre, faire du chantage, harceler. C'était à peu près le quotidien de Freyja, en dehors de ses heures de travail, bien que la demoiselle réussisse tout de même à être presque aussi insupportable au travail qu'en tant normal. La plupart du temps, elle était difficilement supportable au travail à cause de son humeur exécrable qui la suivait très souvent pour peu de choses. Quant aux plus sérieux, ils la qualifieront de très enfantine, donc lourde à supporter, mais c'est un autre problème. En somme, la première née Koslovitch prenait énormément de plaisir à taquiner son entourage, son frère étant la première victime de ses mesquineries, et elle pouvait s'avérer extrêmement lourde à certains moments comme ceux-ci, par exemple.

Aujourd'hui elle s'était levée de fort bonne humeur ;
Ceci ne présageait rien de bon ;

Freyja avait depuis peu fait la rencontre d'un élève, Abel Caerwyn, et avait rapidement constaté que le jeune homme était d'un naturel grognon et plutôt associable. Chieuse comme elle l'était, elle ne put donc s'empêcher de prendre un malin plaisir à déranger sa tranquillité à tout moment de la journée et à chaque fois qu'il avait un moment de libre. Autrement dit, avec une Koslovitch en mode chieuse dans les pattes, se la couler douce est plutôt compliqué à envisager et, aujourd'hui, Freyja avait réussi à le traîner de force au Karaoké pour, soit disant, l'aider à chasser son asociabilité qu'elle jugeait handicapante. A vrais dire, ce n'était qu'un prétexte négligemment trouvé.

Car, ne vous y méprenez pas, Freyja voulait simplement l'entendre râler ;

▬ Aller, aller, je t'assure que chanter va te servir à vaincre ta timidité, tu verras on va s'amuser ! Et puis il y a même des chansons en français, tu pourras me montrer ta belle voix. C'est pas comme si tu allais te ridiculiser devant ta petite amie alors souris un peu ! Froncer les sourcils, ça donne des rides prématurément...

Et elle déblatérait ce flot de paroles sans s'arrêter en tirant le pauvre Abel par le bras pour l'entraîner à l'intérieur du Karaoké. Freyja se l'était promit, elle le ferait chanter de gré ou de force. Lorsque l'aînée des Koslovitch voulait quelque chose, elle l'obtenait en général, et par n'importe quel moyen plus ou moins malveillant.

Que ce moyen soit sympathique ou non ;

Aujourd'hui, Freyja avait décidé d'être invivable ;
Comme tous les autres jours, d'ailleurs ;

Elle était comme ça, Freyja, constamment obligée de considérer les élèves, les plus jeunes et les autres militaires de grade inférieur comme de simples marmots. Elle leur tirait les joues, leur ébouriffait les cheveux, les prenait par la main. Qu'ils aient dix ou vingt ans n'y changeait rien, elle s'en fichait royalement, à vrais dires. Freyja agissait avec eux comme elle agissait avec son frère cadet qui la supportait tant bien que mal et comme elle agirait avec un enfant de huit ans. Cependant, ironie du sort, Freyja n'était pas des plus à l'aise avec les enfants de moins de dix ans, en particulier ceux ayant entre deux et six ans, aller savoir pourquoi. En revanche, elle avait cette sale manie de voir en chaque personne un enfant. C'était, entre autres, une façon comme une autre de tester la solidité des nerfs de chacun.

Les nerfs de son cadet étaient solides comme du béton ;
Les nerfs d'Abel semblaient facilement brisables ;

▬ C'est qu'il est mignon, le petit garçon ! Aller, rentre, mon poussin, elle va pas te manger la madame. Rentre ou je te prend par la main et on se paiera ta tête pendant le restant de tes jours.

Machiavélique ? Mesquin ? Voire totalement dégoûtant, peut-être, aussi. Ah, il n'était pas au bout de ses peines, pourtant. Freyja savait être bien plus tordue, bien plus malveillante, bien plus vicelarde que cela. Pour l'heure, elle voulait juste l'entendre chanter et s'amuser dans un Karaoké. Ou peut-être bien avait-elle derrière la tête d'autres idées que celles de se résoudre à chanter dans un Karaoké mais on ne peut pas réellement prévoir à l'avance. Mademoiselle Koslovitch était de nature très peu prévisible, si peu prévisible qu'il était quasiment impossible de prévoir le moindre de ses faits et gestes, la demoiselle pouvant se mettre à rire, éclater en sanglots ou exploser de colère pour une seule et unique raison.

Vous avez dit lunatique ?

▬ Ainsi donc elle s'appelle Téa, l'heureuse élue...

Elle s'avance près du guichet puis se tourne vers le jeune homme, plantant ses prunelles émeraudes dans le regard de son interlocuteur. Lui lance ce regard perçant qui, s'il savait parler, dirait « Je veux en savoir plus ». Le charme de ses yeux verts luisants dont elle avait tant usé pour de multiples raisons. D'abord pour être pardonnée lorsqu'elle faisait des bêtises, à onze ans. Ensuite pour obtenir ce qu'elle voulait de son petit ami, à seize ans. Maintenant pour n'entendre que de vérités confidentielles de la bouche des élèves.

Mais c'est difficile de dire la vérité à une trompeuse ;

Il ne semblait pas apprécier être traité comme un gosse ;
Tant mieux ;

Parce que Freyja avait et gardera à jamais cette tendance à être bornée et chiante comme la pluie, et ce depuis sa plus tendre enfance bien que, enfant, elle évitait de désobéir aux adultes. Freyja, même s'il ne faut pas se le cacher, à l'heure d'aujourd'hui, il est plutôt difficile de le croire, était une enfant plutôt sage et modèle jusqu'à son adolescence. Cependant, elle avait toujours eu un goût prononcé pour la désobéissance, voyez en cela une tendance masochiste si cela vous chante. Freyja était et est toujours obligée de faire ce qu'on lui interdisait de faire. Le genre d'enfant jouant avec le feu jusqu'à se brûler la main, peu importe le nombre de fois où des adultes l'avertiront, il faut qu'elle se brûle. Ainsi, même adulte, elle avait conservé cette désobéissance naturelle, jouant avec les nerfs de son prochain jusqu'à se prendre une gifle magistrale.

Mais quel monstre serait capable de la frapper ;

▬ En voilà une façon de parler pour décrire une femme. On dirait presque que tu ne la portes pas vraiment dans ton cœur. Serais-tu du genre pseudo-cœur de pierre ?

Elle joue avec une mèche de ses cheveux qu'elle entortille sur son index droit, un sourire en coin fiché sur le visage, comme gravé dans de la pierre. Un visage impassible sans être froid, ne trahissant ni affection, ni répulsion. Elle était toujours comme ça. Impossible de prévoir à l'avance ses actions, impossible de deviner si elle vous aime ou pas. Tout en sachant qu'elle est capable de trahir ce qu'elle a de plus précieux. De foutre en l'air une vie qui lui est chère. Elle réserve une pièce au guichet, attrape la main du jeune homme et le traîne jusqu'à la pièce que lui indique la jeune femme à l'accueil.

Puis elle referme la porte.

▬ Que dirais-tu de l'inviter boire un verre au bar ou bien même retourner dans ce karaoké tous les trois, un de ces jours ? C'est important de booster un peu sa vie sentimentale en partageant des expériences à deux.

Ne vous méprenez pas, Freyja n'avait aucunement envie de jouer les Cupidon ou de faire office de porte-manteau alors que les deux jouvenceaux amoureux se pelotent en s'aspirant mutuellement la bouche. Non. Freyja était plutôt du genre à briser les couples sans aucun scrupule pour se faire l'un des deux ex-amoureux. Or, ni Abel, ni Téa ne l'intéressait. De fait, elle n'y verrait aucun avantage. En réalité, elle avait plutôt une irrésistible envie de se foutre de la gueule du jeune homme. Et puis, peut-être qu'elle était un peu curieuse, aussi. Disons qu'au niveau vie sentimentale, elle n'avait aucun conseil à donner.

Elle n'avait jamais rien vécu de sérieux et ne s'en portait pas plus mal ;

Freyja n'avait jamais été très philosophique. Du genre à ne jamais chercher plus loin que le bout de son nez lorsque quelque chose l'embêtait, elle avait presque toujours été assez têtue et étroite d'esprit, trouvant barbant le fait qu'il faille toujours se faire sa propre idée sur quelque chose avant de la critiquer. Ainsi, sa vision du couple était limitée à ce qu'elle pouvait rencontrer un peu partout, c'est-à-dire des tourtereaux enlacés comme des siamois se bouffant mutuellement les lèvres et se murmurant sans arrêt des niaiseries. Cette vision était la seule que Freyja avait et elle l’écœurait bien assez pour qu'elle refuse d'aller plus loin dans sa propre définition du mot "couple".

Elle trouvait cela bien trop pénible et sans intérêt ;

▬ Un couple est niais par définition, peu importe son genre. Tu m'excuseras le fait de ne pas comprendre la définition de l'expression "tomber amoureuse". C'est tellement inutile, pourquoi se limiter à une seule personne alors que nous sommes sept milliard sur Terre ? Tu n'es pourtant pas du genre à t'emmerder avec un fardeau comme une petite amie, Caerwyn.

Paroles typiquement libertines. Il est vrai que Freyja n'avait jamais rencontré de couple ne passant pas les trois quarts de leur temps à s'embrasser et à se donner des surnoms ridicules, mais elle n'avait jamais regardé de Disney non plus. A vrais dires, à part des livres bien trop compliqués pour elle, son enfance n'avait jamais connu aucune distraction et les rares fois où la télévision avait été allumée, ce n'était que pour des documentaires peu intéressants. Mais cela n'avait jamais eu aucune importance, Freyja avait toujours semblé heureuse comme ça.

Si tu travailles dur, Maman et Papa viendront te chercher ;
C'était ce qu'on lui répétait sans cesse ;

▬ On ne peut pas dire que tu sois très méfiant. Qui sait quelles genres de belles conneries je pourrais dire à cette fille en ton absence pour foutre une belle merde dans ton couple...

Et, au moment où elle prononça ces mots, son cerveau plus ou moins machiavélique se mit à élaborer des plans de manipulation du genre lavage de cerveau à l'aide de belles paroles. Restait à voir si cette Téa était du genre jalouse possessive ou assez laissez-faire. Dans le premier cas, elle s'avérait particulièrement facile à manipuler. Dans le second, cela risquait d'être plus difficile. Cependant, à l'heure actuelle, la demoiselle Koslovitch n'avait aucune raison de taquiner le jeune couple, bien que le ton que le jeune homme venait d'employer ne lui plaisait pas réellement.

Il était encore trop tôt pour ruminer des idées de vengeance ;