Chez Tuuli, rien ne dépasse. Ses cheveux sont lisses, coiffée, la raie parfaitement centrée. Au travail, tout est propre, ses dossier sont classés, son matériel est rangé, ses réalisations sont toujours impeccables. Ses habits sont rangées par utilité et par couleurs, elle ne parle jamais pour ne rien dire, elle avance droit, sans sortir des lignes, elle étudie, elle s'informe, se documente. Elle est toujours droite et ...  
Et des fois, elle a l'impression d'être à côté de la plaque, elle a l'impression d'oublier quelque chose dans sillage parfaitement parfait. Alors elle réfléchit, encore et encore, repasse en boucle son parcours dans sa tête, elle angoisse pour rien, une feuille qui dépasse et c'est le drame.
Elle devient exécrable, acerbe, plus dure que jamais. Elle entend les autres dire qu'elle est "coincée", elle lance des regards accusateurs et quand elle a trop accumulé, elle sort. Elle descend au jardin et va s’asseoir dans un coin, un bouquin à la main et elle essaie de faire le vide dans sa tête. Peut-être qu'un jour, la normalité deviendra sienne. Mais d'ici là, elle attend.

Les yeux passant d'un mots à l'autres  à la vitesse de l'éclair, Tuuli concentrait toute son attention sur ce livre, un des rares livres "divertissants" qu'elle possédait. Un thriller en l’occurrence. Mais plus elle lisait, plus elle avait cette désagréable sensation dans la nuque, celle d'être observée. Elle eut un léger frisson et releva la tête, un air pas très engageant sur le visage. Ah. En effet, il y avait bien quelqu'un. Elle soupira et pinça les lèvres. La solitude tant demandée est relative quand on vit en vase clos avec toujours les mêmes personnes. On finit toujours par tourner en rond et croiser quelqu'un qu'on a déjà vu.

L'homme non loin d'elle était le frère d'Agetha, elle le savait, elle l'avait déjà vu. Mais elle en le connaissait pas personnellement. Elle souffla et fit une moue contrite. Elle fit un petit signe de la main et fini par dire "Bonjour"... Tout simplement. Elle n'était pas ravie de voir quelqu'un mais elle le gardait pour elle. Elle était blasée.

Elle lorgnait l'homme du coin de l’œil, un peu sceptique quand à sa manière d'être. Il hésitait à approcher et elle espérait qu'envoyer des ondes négatives suffirait à le tenir à distance.. jusqu'au moment où il finit par se lever et s'approcher. Elle soupira, et retourna à son bouquin.

" Hey, moi c'est Jens. Est-ce que je pourrais savoir ce que tu lis ?"

Quelque part elle admira son audace, venir comme ça, discuter avec quelqu'un qu'on ne connaît que de vue... Et elle le trouva aussi très rapidement stupide. Mais tout le monde ne peut pas avoir son intelligence, n'est-ce pas ?

Elle leva les yeux rapidement, et lui montra la couverture. Miserere, Harlan Coben. Le livre était écorné, parce que lu et relu. C'était un de ses thriller favoris.

"C'est un thriller. Enlèvement d'enfants de chœur et psychopathe destructeur."

Ce résumé était bref, presque sec. Idiot. L'histoire en elle-même était beaucoup plus complexe, plus intéressante et beaucoup plus... noire. Mais à vrai dire, elle n'aimait pas raconter les livres. Elle estimait que du moment qu'on savait lire, on devait se débrouiller pour le faire soi-même.

"Tuuli Koskinen."

Simple, clair, éloquent.

Tuuli était plantée dans son banc, comme une statue. Elle ne cherchait jamais la compagnie et se trouvait toujours prise au dépourvue quand quelqu'un souhaitait lui parler. Surtout ces derniers jours...

"Si tu tiens tant au silence, peut-être aurais-tu un autre livre à me prêter ?"

Elle serra la machoire, encore plus agacée. Il ne partirait pas et elle devrait faire avec. Mais Tuuli était très rarement conciliante. Pour ne pas dire jamais. Elle releva la tête d'un air plus que suffisant et dit d'une voix morne:

"Ce n'est pas tant que je tiens au silence, puisque de toute façon, le silence est relatif dans cet endroit. Mais plutôt que j'espérais être seule. Malheureusement, la solitude est aussi une donnée relative dans un endroit clos emplit de gens..."

Elle le regarda un instant, sans même se rendre compte de la prétentionet de la suffisance dont elle faisait preuve. Puis elle soupira, comme une sorte de capitulation par dépit.

"Je n'ai pas d'autres livres, mais si vous voulez quand même rester là et m'agacer encore plus, vous pouvez vous asseoir."

Elle replia ses jambes, laissant une place sur "son" banc. Quelque part, venant d'elle, c'était de la gentillesse.

Tuuli le regarda s'assoir, et haussa les yeux au ciel. Elle avait encore un petit espoir qu'il s'en aille, qui s'était retrouvé écraser sous les fesses de ce Jens. Elle continua son livre mais la présence de l'homme sur le banc la dérangeait. Elle n'arrivait plus à lire correctement et au bout de quatre pages, elle ferma le livre en poussant un soupir exagéré...

"En fait, tu comptes réellement rester là et ne rien faire ? Comme ça, tranquille ?"

Plus de vouvoiement, elle était trop énervée pour y faire attention. Son tact légendaire venait de reprendre le dessus et son air froid et distant venait de laissait place à un air de défi à peine voilé. Elle avait décidé qu'il était gênant et elle ne changerait pas d'avis de si tôt.
Elle lui tendit le livre de façon brusque.

"Tiens, prends le, j'arrive plus à lire, tu me gênes."

Elle secoua la tête en signe de désapprobation et trépigna légèrement.

"Je n'ai pas envie de parler. Je te souhaite une bonne lecture, Jens."


Elle appuya sur le prénom de façon grossière. Puis elle ne tarda pas à prendre ses affaires, remettant son gilet sur ses épaules et son sac à la main. Elle avait un certain charme en cet instant, un charme de dragon cracheur de flammes... Et elle commença à s'éloigner, d'un pas décidé et se mit à rager. Puis, d'un coup, elle fit demi tour, se mit face à Jens, lui offrit son plus beau visage ( ironie. ) et récupéra son livre d'un geste rageur.

Et elle repartit... Du grand Tuuli Kosikinen.