Elle retient son souffle l'espace de quelques secondes ; En réalité, elle avait un peu peur de la suite ;
Lorsqu'elle était enfant, il y avait une petite fille de son âge à qui elle tenait énormément et qu'elle suivait partout. Ç'aurait presque pu être mignon tout plein si les deux gosses n'avaient pas été des chiantises ambulantes prête à tout pour faire les plus grosses conneries du monde et ce sans jamais se faire prendre -ou bien les rares les ayant prises en flagrant délit ne réussirent jamais à obtenir la moindre preuve. Elle, une adorable enfant modèle, l'autre, le diable incarné. Deux gamines qu'il était plaisant d'avoir en photo tant leurs visages poupons semblaient angéliques mais qui auraient poussé au suicide même la plus compétente des baby-sitters. Infernales et vicelardes au point de ne jamais se faire prendre la main dans le sac. Tuuli Koskinen et Freyja Koslovitch étaient connues des adultes pour être l'objet de plusieurs plaintes d'élèves sans jamais avoir été démasquées, les plaintes n'ayant aucune preuves et les deux fillettes toujours un alibi inventé de toute pièce et déjà calculé par l'aînée des deux. La petite Tuuli agissait la plupart du temps en leader, menant la plus jeune par le bout du nez.
Ces deux enfants ont désormais seize ans de plus ; Elles avaient emprunté deux chemins différents ;
C'est en rangeant son petit appartement et, précisément, en fouillant sans but dans un petit tiroir, que Freyja mit la main sur un petit stylo-plume qui semblait comme neuf. Sans grande valeur, ce n'était qu'un stylo que son amie de longue date lui avait, un jour, prêté, et n'avait jamais pensé à le lui reprendre. Elles préparaient sûrement encore un sale coup à l'aide de ce stylo, Freyja avait une trop courte mémoire pour se souvenir de quoi que ce soit concernant la bêtise qu'elles avaient préparé ce jour là, et la petite Tuuli n'étant pas habillée d'un pantalon à poches l'aurait simplement donné à Freyja pour ne pas s’embarrasser. Ou bien quelque chose de ce genre, Freyja ne se souvenait plus réellement des détails, elle avait seulement en tête de le lui rendre.
Elle avait plus de chance de la trouver au laboratoire.
▬ Bien le bonjour, tu es une stagiaire, c'est ça ? Peux-tu me dire si Mlle la Professeure Koskinen est ici présente ?
La gamine lui adressa un sourire. La plupart du temps, science et médecine avaient tendance à coopérer, ce n'étaient pas des matières très éloignées. Ainsi, Freyja avait l'autorisation de s'y aventurer, contrairement aux élèves ou à d'autres individus n'ayant rien à faire là. De plus, la jeune femme ayant revêtu sa blouse blanche de travail, bien que différente de celle des scientifiques, on ne lui posa pas plus de questions que ça sur le pourquoi du comment elle prenait le droit de rendre visite à la jeune et jolie Koskinen. La toute jeune stagiaire guida l'aînée Koslovitch d'un bout à l'autre du labo. La gamine avait un petit air intimidé fiché sur son joli petit visage et, si Freyja n'avait pas été dans un milieu de travail, elle aurait très certainement prit l'initiative de la taquiner un peu.
Il valait mieux pour elle que Tuuli ne soit pas très occupée ; Dans le cas contraire, tant pis ;
▬ Est-ce que tu-..hum... Êtes-vous occupée, Professeure Koskinen ? Pouvez-vous m'accorder un moment..?
L'irresponsable Freyja s'exprimait très rarement avec autant de politesse et de professionnalisme. Il y avait des choses que même la jeune femme la plus déraisonnable ne se risquait pas de faire dans un lieu ou une situation bien précise. Au travail, dans le laboratoire de recherches, Freyja se devait de faire bonne figure. Et ce, malgré son accoutrement plutôt léger et osé.
Des fois, on s'assoit et on pense. À la vie, au futur, au passé et on oublie de regarder le temps qui passe, on se laisse entraîner par la mélancolie ou le doute, par la peur ou la joie... On éprouve des remords ou bien on est fière.
Pas Tuuli. Tuuli ne s'arrête jamais, elle n'éprouve aucun regrets et ne pense jamais au passé. Elle travaille, se perfectionne, créée des choses, en fabrique d'autres. Elle ne se laisse jamais le temps de penser à la vie. Elle avance, point barre. Et quand le passé toque à la porte, elle ne l'ouvre pas. Elle laisse le passé là où il est, les joies et les peines avec. Assise à son bureau, l'air grave, elle relit une série de mesure pour une pièce d'armement assez délicate à fabriquer. Elle vérifie tout jusqu'au moindre détails, agacée par chaque détail mal défini, chaque petites tâches sur la feuille. Comme si les autres ne pouvaient pas se laver les mains avant de toucher à un papier ! Mais des bruits de pas la sorte de sa ronchonnerie et elle relève légèrement la tête.
Dans l'encadrement, un morceau de son enfance, en chair et en Os. Freyja. Elle fait la moue.
"Est-ce que tu-..hum... Êtes-vous occupée, Professeure Koskinen ? Pouvez-vous m'accorder un moment..?"
Les yeux perçant de Tuuli scrute la silhouette de Freyja, elle l'inspecte, note la tenue et soupire. Elle regarde sa montre, et estime qu'elle peut accorder du temps à son ancienne amie. Pour une fois. Elle range ses papiers et désigne le fauteuil à côté de son bureau.
"Oui, assied toi."
Tuuli est froide, distante, elle ne sait pas trop à quoi s'attendre et son instinct lui crie de rester neutre pour le moment. Qaund Jo est mort, Tuuli a délaissé Freyja parce qu'elle lui rappelait trop son enfance et aussi parce qu'elle ne voulait pas l'encombrer avec sa propre peine. Elle ne voulait pas que Freyja finisse aussi rigide qu'elle en quelque sorte. Malheureusement, Tuuli ne s'est jamais rendu compte que son comportement pouvait aussi avoir des répercussions sur Freyja...
Elle soupira lorsque la stagiaire s'en alla ; Gênée, elle était un peu inquiète ;
Depuis combien de temps elle ne s'était pas retrouvée seule avec Tuuli ? Elle qui n'avait aucune mémoire se souvenait encore plutôt bien des instants passés avec son amie d'enfance, à défaut de se souvenir de l'âge de son propre petit frère. Freyja n'avait jamais réellement considéré Tuuli comme une sœur, ce genre de niaiseries l'insupportait, mais elle l'aimait assez pour être bien plus proche d'elle que de son frère cadet. L'immense écart d'âge entre les deux Koslovitch était la principale cause du faible attachement qui les liait, alors que la demoiselle Koskinen était l'aînée de Freyja de quelques mois seulement. Et, bien que l'aînée Koslovitch ne s'embêtait pas à considérer ses amis proches comme des frères et des sœurs ou autres niaiseries, Tuuli avait été bien longtemps l'une des rares personnes à savoir la faire sourire niaisement comme une gamine devant des dessins-animés.
Il est difficile de parler à quelqu'un que l'on a longtemps ignoré ;
Ces dernières années, lorsque l'on demandait à Freyja si elle connaissait la demoiselle Koskinen, cette-dernière répondait par une simple affirmation ou un furtif hochement de tête, sans plus. Alors, on ne s'étendait pas plus sur ce sujet plutôt sensible, histoire de ne pas voir la jolie russe se fâcher. Freyja n'avait jamais aimé qu'on lui force la main en l'obligeant à lui faire cracher le morceau. Il y avait des sujets qu'elle ne voulait pas aborder et son enfance faisait partie de l'un d'entre eux. Or, Tuuli faisait partie de son enfance. Tuuli faisait partie de ces nombreux sujets dont il était difficile de parler en présence de l'aînée Koslovitch.
Freyja s'assit, croisa les jambes et les bras.
▬ Qu'est-ce que tu peux être froide... Souris, un peu, fais au moins semblant d'être contente de me voir.
Un petit air faussement boudeur sur le visage, elle ne pouvait s'empêcher de gesticuler à cause de la gêne, telle une enfant hyperactive qui s'impatienterait trop. La jeune stagiaire était partie, Freyja n'avait plus aucune raison de parler avec respect et professionnalisme comme elle le faisait il y a quelques minutes de cela. Elle n'était cependant pas spécialement vexée par l'accueil peu chaleureux que lui avait fait son amie d'enfance car elle-même avait préféré s'adresser à Tuuli avec respect et vouvoiement comme elle l'aurait fait avec une parfaite inconnue. C'était donnant-donnant.
▬ J'ai retrouvé ça, tu t'en souviens ? Je me rappelle plus quelle genre de connerie on préparait avec mais c'était drôle, et je l'ai retrouvé dans un de mes tiroirs. Tiens.
Elle sort le stylo de sa poche, l'inspecte une dernière fois puis le pose sur le bureau. A vrais dires, il y avait peu de chances pour que Tuuli se souvienne d'une chose aussi futile, mais certaines choses sans valeur du point de vue de certaines personnes pouvaient être tout le contraire pour d'autres...
"Qu'est-ce que tu peux être froide... Souris, un peu, fais au moins semblant d'être contente de me voir."
Tuuli tiqua en entendant cette phrase. Elle ne montrait jamais aucune autres émotions que l'agacement ou la colère et dans de rares fois, la gêne. Alors sourire ou même esquisser un sourire... C'était presque trop demander mais.. Mais Tuuli sentait au fond d'elle quelque chose comme de la gaieté. Ou était-ce sont repas qui passait mal ? Peu importe. Elle était là, face à Freyja et elle se demandait ce qui lui valait cette visite étrange.
"J'ai retrouvé ça, tu t'en souviens ? Je me rappelle plus quelle genre de connerie on préparait avec mais c'était drôle, et je l'ai retrouvé dans un de mes tiroirs. Tiens."
Tuuli la vit sortir un stylo de sa poche. Un petit stylo qu'elle lui donna comme s'il s'agissait d'un objet précieux et fragile. Tuuli tendit la main et l'inspecta. Sa mémoire rouillée mit un temps à se remémorer l'origine de l'objet. Puis un flash, un petit prémice de souvenir. Les yeux de Tuuli changèrent pendant un instant, exprimant de la joie mélée de tristesse. Puis elle se reprit et posa délicatement le stylo sur le bureau. Elle se leva sans parler et ouvrit un placard. Elle y chercha quelque chose pendant plusieurs minutes pour finalement sortir une petite boite en carton. Elle la posa sur le bureau et en sortit un deuxième stylo, quasi identique, affublé d'un élastique rose.
"C'est la moitié de ça. Un lance-boulettes. Je te l'avais donné pour... disons, disperser les preuves."
Puis elle rangea la boite dans l'armoire et laissa les stylo ensemble. Ce moment était étrange, empreint de nostalgie, quelque chose que détestait ressentir Tuuli. Elle se rassit tranquillement et reprit la parole :
"Je suis extrêmement comblé par ta visite. Navré que ça ne se voit pas... - elle haussa les épaules et soupira de façon appuyé, augmentant l'ironie de sa phrase - Tu devrais porter des jupes encore plus courtes, ce serait gracieux... Tu veux quelque chose à boire ?"
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