Les couloirs sans fin l'amenèrent enfin jusque son dortoir dont elle poussa la porte du bout des doigts. Soupirant la brune n'alluma pas de suite la lumière, retira en une danse stupide ses éternelles converses et jeta son sac dans un coin de la pièce. Sa chambre était plutôt grande puisque personne ne la partageait avec elle. Une fois qu'elle eu renversé ses dossiers quelque part, elle trébucha et se planta sur le matelas comme une idiote. La maladroite leva les yeux sur le plafond et le fixa quelques minutes sans daigner bouger.

Quand elle le fit ce fut pour se relever et entreprendre de se changer, elle défit les premiers boutons de sa chemise sous lequel apparaissait un soutien-gorge étrangement féminin et en dentelle.
Prim tourna la tête vers la porte, troublée. Elle fit un pas, puis deux et ouvrit brusquement cette dernière.

▬ Lisbeth.

Lisbeth sous l'eau.
Pardon ?

- All the leaves are brown ! All the leaves are brown ! And the sky is gray ! And the sky is gray ! California dreamin' on such a winter's daaaaaaay ! chantait Lisbeth avec un extrême entrain.

C'était son dernier jour sur EP-2 avant de repartir en mission ; elle prenait donc une douche avant ses derniers préparatifs. Elle ne savait pas si elle était contente ou pas de partir, mais en tout cas elle profitait bien de sa dernière douche avant des jours de froid et de saleté. EP-2 avait le mauvais goût d'être immergée mais possédait au moins tous les équipements sanitaires nécessaires. Et puis, Prim était là. Tout lieu accueillant Prim gagnait des points dans son capital sympathie.

Entendant la porte s'ouvrir, Lisbeth sursauta. Quand on parle du loup... Elle arrêta l'eau et entrouvrit la porte de la cabine de douche pour passer sa tête et regarder Prim. Elle put constater que son amie était à moitié déshabillée. Elle s'efforça de la regarder dans les yeux ; même après des années à squatter la chambre de Prim ou à voir la sienne squattée par elle, elle était toujours perturbée par ce genre de choses.

- Tu peux constater que la douche est occupée. A part si tu veux me rejoindre tu vas devoir attendre.

Lisbeth se rendit compte de ce qu'elle avait dit après-coup. Elle faisait toujours ce genre de blagues. Mais lorsqu'elles étaient toutes les deux fort peu habillées, ça prenait une toute autre tournure qu'elle n'était pas sûre d'apprécier. Ou qu'elle avait peur de pouvoir apprécier. Elle se mordit la lèvre et referma la porte de la cabine sans attendre de réponse.

Oh. Elle était là. C'est vrai. Parfois elle oubliait. Prim commençait à oublier beaucoup de choses, à croire qu'elle était devenue sénile cette vieille. Comme sa poitrine à moitié en spectacle qu'elle planqua sous son bras en vitesse, par exemple. Mais c'est pas pour autant qu'elle avait pas une Lisbeth à poil à quelques mètres.

Ah, le doux règne animal.

Sans ciller elle bifurqua vers le parquet de la chambre, s'adressant plus à l'embrasure de la porte qu'à son amie. Son crâne s'écrasa avec lenteur contre le mur. Elle était attentive mais n'avait pas envie d'écouter. Plus envie. Tiens, il fait noir ici. Il n'y a que l'enfantine odeur de shampoing qui ondule vers elles deux.

▬ Ah vraiment, je peux ?

Le ton qu'elle prenait, cette neutralité. Putain c'était flippant. Elle ouvre grand la porte, reprend son déboutonnage. Rien de plus banal.
Just like a zombie.

Lisbeth commençait à perdre ses moyens. Prim l'avait prise au sérieux ? Lisbeth ne voulait pas vraiment qu'elle la rejoigne, ou peut-être que si, mais c'était juste une blague stupide de sa part, et...

Et Lisbeth avait vraiment perdu ses moyens. Elle entrouvrit encore une fois la porte de la douche pour dire à Prim de ne pas faire ça, mais ses mots se bloquèrent dans sa gorge. Son amie était en train de se déshabiller.

- P-Prim ! Qu'est-ce que tu fais ?

Lisbeth ne devrait pas paniquer autant : elle n'était plus une pucelle de 15 ans, elle n'était pas sensée s'affoler sur ce genre de choses, surtout que Prim était une fille. Elle ne devrait pas être perturbée par une fille.

Non devant leurs yeux, ce n'étaient pas Lisbeth Cavendish et Primrose Alexander, du moins pas les habituelles. Toute cette pourriture au devant de la scène, ce n'était que le fossé de leur vie, si seulement la pénombre de la pièce, soudainement avait pu se révéler ne serait-ce que macabre, histoire d'ôter le fond grotesque de la chose. Mais voilà; il y a ce cruel animal, là devant, ce petit sot, plutôt cette sotte, cette inconnue qui s'étale en face de Cavendish.

Soudain tu la fixes et tout ce que tu vois c'est une femme dans le plus simple habit, juste son petit corps meurtri. Il parait minuscule mais tu ne sais pas pourquoi, comme tu t'efforces de ne rien dévisager, puis tu tombes sur ces jolies formes que tu as vues, avant. Cela dit c'était avant. Et qu'est-ce-que tu fais ici. Tu ne sais plus.

Pourquoi est-ce-que tu trembles, tu sais pas.

Ses doigts atteignent difficilement son jean, d'ailleurs elle s'y prend à deux fois avant de parvenir à défaire les attaches. C'est comme une tornade dans ta tête, tu refuses de penser. Tu sais que tu fais une bêtise mais étrangement c'est plus fort que toi. Tes hanches, puis tes cuisses mises à nues, te voilà à découvert.

Va te cacher, le loup va te trouver. Peut être qu'au fond c'est flippant pour les deux, elle a le regard figé sur Lisbeth. Tu sais tu peux bouger la tête. Mais c'est compliqué, tu comprends. Pieds nus elle progresse, avec lenteur.

Au fond de son malaise, elle tangue presque, c'est identique au début de sa vie, à sa constante perte, à ses malheurs, ses hérésies, son besoin de perfection.
Sa poitrine, toute soulevée de spasmes, ses épaules d'enfant, sa cicatrice sur l'omoplate... Oui elle pourrait tout voir, même son horreur à elle.
Au début, tu te souviens. C'était tes yeux.

Pourquoi soudainement, elle a besoin de plaquer ses ailes contre ses seins, pas qu'ils soient affreux, couverts de cicatrices.

C'est que personne les a vus.

Tu es toute proche d'elle, tu peux sentir la vapeur d'eau qui te caresse le visage, docilement. Tes ailes retournent à ton dos. La cage est toute à vous. Oui c'est facile, ce n'est qu'une féminité sublime, juste des courbes. Juste une vague enivrante.

▬ Y'a un truc qui va de travers.