Wilhelm travaillait à son bureau comme à son habitude à cette période de la journée. Quelqu'un toqua à la porte et il l'invita à rentrer de la voix caractéristique des hommes occupés. Il releva à peine les yeux pour les planter dans les siens, effectuant un geste simple de la main pour lui autoriser à prendre la parole. Tino Johannes. De la bleusaille. Il ne répondit pas tout de suite, finissant ce qu'il était en train de faire avant de se redresser sur son dossier et de lancer un très simple :

"Commandant Ashford."

En insistant sur son grade. Il ouvrit un des larges tiroir de son bureau et sembla chercher quelques secondes avant d'en retirer un dossier impeccablement tenu. Il le survola pendant un instant encore, regardant minutieusement le compte rendu des derniers rapports. Toujours silencieux, il corna la page là où se trouvait le verdict final et le retourna dans le sens de la jeune fille. Il s'enfonça dans le fond de son dossier, sans effectuer aucun mouvement, la fixant dans les yeux. Sur le papier on pouvait lire d'une écriture gracieuse mais masculine :

Citation :

Soldat Tino Johannes
Départ de la mission 87596426552 le 03/06/2017.

04/06/2017 - Arrivée confirmée.
05/06/2017 - RAS
06/06/2017 - Repérage, RAS.
...
12/06/2017 - Présence d'un invité, en surveillance.
...
15/06/2017 - La fête s’agrandit. PAT
16/06/2017 - Ravitaillement confirmé.
...
23/06/2017 - Les invités s'en vont, activités non-détectées.
24/06/2017 - RAS
...
28/06/2017 - Les invités reviennent, action.
29/06/2017 - Un accident est survenu. L'hôte signale deux exemptés.
30/06/2017 - La fête continue. L'hôte est exempté.
01/07/2017 - Ravitaillement intercepté. Pas de nouvelles de l'hôte.
02/07/2017 - La fête continue.
...
08/07/2017 - La fête est une réussite. L'hôte est demandée.
...
11/07/2017 - L'hôte a fait un blackout. Demande urgente d'évacuation.
12/07/2017 - 4h12, l'hôte a succombé.

Wilhelm la regardait avec attention. Non pas par pur sadisme parce qu'il se délectait de voir la souffrance d'une jeune femme qui venait d'apprendre le décès d'un proche, ça serait trop facile. Non, il était inquiet car il savait que ce genre de nouvelle laissait rarement les gens de marbre. Surtout les gens qui voulaient prendre des nouvelles en allant dans son bureau. Il n'avait pas de remontant à préparer et il n'aimait pas particulièrement ce genre de moment. C'était une corvée qu'il exécutait cependant avec les honneurs qu'il devait. Il ne servait à rien de cracher sur les morts. Il n'y avait rien à faire dans ce genre de situation tant que la personne ne réagissait pas d'elle même. Patiemment, il attendit qu'elle passe le premier cap. Le seule conseil qu'il pouvait lui donner était prononcé avec une voix qui se voulait compatissante. En vain. La voix était froide comme la voix naturelle du commandant Ashford.

"Ça ne s'arrangera pas si vous vous retenez. Il n'y a que vous et moi et je n'en dirai rien. Vous pouvez rendre honneur à l'agent Johannes, il a accompli son devoir jusqu'à son dernier souffle. C'était un bon militaire."

Summum de la compassion pour l'allemand. Solennel un jour, seul et net toujours ! C'était également son travail et il serait exemplaire également pour cela.

Ça avait duré longtemps et le colonel n'avait ni regardé la jeune femme pleuré, ni troublé son deuil. Silencieusement, il avait continué à lire ses documents informatiques afin de prendre ses distances avec les événements. Il savait ce que cela impliquait de perdre un ami. De perdre plus qu'un ami. Et il savait qu'il ne pouvait rien faire pour alléger sa peine, rien de plus que de la laisser librement pleurer et de montrer qu'il était là si elle avait besoin de quelqu'un. Lorsqu'elle reprit la parole, il attendit de finir la phrase qu'il lisait pour décrocher les yeux de son écran. Ça n'avait duré que cinq secondes puis il acquiesça tout en lui fournissant une réponse détaillée.

"Affirmatif, tous les corps ont pu être ramené en bon état. Il n'y avait pas de véhicules blindés, tout a été propre. Nous avons disposé de son corps selon les exigences de son testament, vous pourrez aller vous recueillir quand vous le désirerez."

Il garda le silence, le choix lui appartenait de choisir son moment, même s'il ne lui conseillait pas de le faire maintenant. Malheureusement, tristesse et raison n'étaient pas bons amis et il était déjà prêt à l'accompagner jusqu'au cimetière sur ses heures de travail afin qu'elle ne risque rien dans son état.

Prévisible. Il avait déjà sauvegardé ses fichiers et fermé sa session ; pas questions de laisser ses dossiers confidentiels à la portée du premier venu. Il rangea également l'ordre de mission à sa place en refermant le tiroir à clé. Il ne donna pas l'autorisation de partir mais se leva de son fauteuil en lâchant ces quelques mots.

"Garde à vous, soldat. Vous marcherez derrière moi la tête haute jusqu'au cimetière. Vu ?"

C'était un ordre, elle ne pourrait pas refuser. Il attendit quelques instants qu'elle arrange son apparence avant d'ouvrir la porte et d'en franchir le pas en premier. Pas besoin que tout le bâtiment soit témoin de son état et encore moins qu'ils aient envie de lui adresser la parole tout de suite.