Je ne connaissais pas la personne qui faisait de la musique au ZeroHour ce soir, et c'était tant mieux. La dernière fois, j'étais entrée et c'était lui qui était sur scène. Il m'avait fallu tout mon self control pour ne pas lui balancer une chaise à la gueule, et j'étais partie. Au moins, là, je pouvais simplement m'asseoir au bar et boire un verre en écoutant distraitement la musique.

Je regardais fixement mon verre de whisky, pensive. Chanter ici me manquais tellement. Même après quatre ans, je crois que le languir de la scène ne me quittera jamais. Je terminai mon verre d'une traite et appelai le barman pour qu'il m'en serve un autre. C'était un nouveau et il ne me connaissait pas, alors je ne discutais pas avec lui.

Lorsqu'il me donna ce que j'avais demandé, je soulevai mon verre à la hauteur de mes yeux et y fit doucement tournoyer l'alcool. Je pris une gorgée puis déposai le verre sur le bar, et, tournant la tête vers la scène pour voir la musicienne de la soirée et son groupe s'activer, sentis soudain de l'eau éclabousser mon dos.

« Ah mais fuck! »

Je me retournai d'un coup pour voir une jeune fille étalée par terre, un plateau un peu plus loin et ce qu'il restait de deux verres ayant contenu de l'eau juste devant elle. L'homme à côté de moi semblait aussi avoir été éclaboussé. La serveuse bondit sur ses pieds et se mit à se confondre en excuses.

« Rah mais arrête de t'excuser et rends toi utile, amène nous une serviette ou quequ'chose! »

Elle s'empressa d'aller chercher ce que j'avais demandé, piteuse, et je me tournai vers l'autre éclaboussé en soupirant.

« Non mais merde quoi. »

Il me fit un petit sermon, l'air qui disait 'calme toi'. Je le regardai d'un air agacé. Pourquoi tout le monde essayait toujours de me faire me calmer? Est-ce que vous avez déjà rencontré quelqu'un, vous, qui s'est calmé parce que vous lui avez dit de se calmer? Se faire dire de se calmer, c'est juste plus frustant. En plus, je n'étais pas spécialement frustrée parce qu'elle nous avait renversé de l'eau dessus, mais plutôt parce qu'elle avait pris trois ans à s'excuser plutôt que d'aller nous chercher de quoi nous essuyer.

« Non, on essuie et on est encore mouillé parce que les vêtements ça ne sèche pas à la vitesse de l'éclair. Et de toute manière je n'suis pas énervée parce qu'elle nous a renversé de l'eau dessus, je suis énervée parce qu'elle est incompétente et plutôt que de vouloir trouver un moyen de nous sécher elle s'est juste excusée pendant trois ans. »

La serveuse revint juste après que j'aie dit ça et nous tendit chacun une serviette. Je me séchai tant bien que mal après lui avoir sèchement lancé un 'merci'. Je me retournai vers mon verre et en pris une grande gorgée.

« Depuis le temps qu'elle travaille ici elle devrait être devenue compétente. »

Il me semblait l'avoir vue quelques fois quand j'avais travaillé ici, donc ça faisait au moins quatre ans qu'elle était ici, on croirait qu'après quatre ans les serveuses auraient appris l'efficacité.

Je me retournai vers l'homme à côté de moi et l'observai un instant. Son visage me disait vaguement quelque chose. Je devais l'avoir avec moi dans quelques uns de mes cours... Ah oui, ça me revenais maintenant. Je n'avais pas de cours avec lui en fait, seulement il était formé pour l'armée de terre, c'était pour ça que son visage me disait quelque chose. Il n'était pas ici depuis longtemps si je me souvenais bien, peut-être quelque mois. Je crois que j'avais entendu son nom quelque part...

« Joel, c'est ça? »

J'avais visé dans le mille. Même si apparement peu de personnes l'appelaient toujours comme ça. Enfin ça ne semblait pas le déranger puisqu'il ne me dit pas d'autre nom à utiliser, donc j'allais bien entendu l'appeler Joel.

« Faith. »

Je me sentais toujours un peu mal à l'aise lorsque je disais mon nom, depuis que Scott m'avais dit que je le portais bien. Ça faisait quatre ans, et je ne l'avais jamais revu, mais ça me troublais toujours. Peut-être était-il mort. Bah, c'était pas plus mal.

Penser à Scott me fit de nouveau plonger dans mes souvenirs de chanteuse ici, puisque notre premier... "rendez-vous"(je répugnais à l'appeler ainsi, mais ne trouvais pas d'autre mot pour le qualifier) s'était passé un soir où je chantais. Je restai dans mes pensées quelques secondes, avant de réaliser que j'avais un interlocuteur devant moi.

Je finis mon verre d'une traite. Penser à tout ça n'était pas une bonne chose pour moi. Je demandai un autre verre (ça allait être le troisième), même si je sentais déjà mes pensées s'embrouiller légèrement.

« Donc euh... T'es étudiant pour l'armée de terre, c'est ça? T'vas faire quoi comme métier? »

L'alcool me rendait curieuse on dirait.

Cavalier cavalier... Qui d'autre que je connaissais était cavalier? Ah oui, Kyle. J'hochai doucement la tête à son affirmation.

« Moi j'serai combattante. T'es en quelle année d'ailleurs? »

Car, comme j'avais pensé plus tôt, j'étais à peu près certaine qu'il n'était pas ici depuis longtemps. Je l'observai un instant. Pourtant, il avait l'air plutôt vieux. Il n'allait pas suivre des cours très longtemps je pense, puisque l'âge limite était 25 ans. C'était plutôt dommage d'arriver ici étant vieux, et de devoir aller sur le terrain en étant inexpérimenté. Arriver ici plus tard qu'à 17 ans, en fait, ça voulait dire que t'allais plus ou moins finir en de la chair à canon.

« Et t'as quel âge, justement? »

Il avait l'air plutôt bien bâti, au moins. Ça lui donnerait un certain avantage. Enfin, être bien bâti ça ne donnait pas tout, loin de là. Sinon je ne serais pas allée aussi loin dans ma formation. Je pris une grande gorgée de mon verre, appréciant l'effet intoxicant de l'alcool qui s'emparait de plus en plus de mon cerveau. Je n'étais pas bourrée, enfin pas encore, juste un peu éméchée.

« Ah. »

J'hochai la tête à mesure qu'il parlait. C'était bien ce que je pensais. Bon, il restait qu'à espérer qu'il crèverait sans trop souffrir. Par contre je n'allais pas lui dire ça, il ne fallait pas le décourager quand même, il fallait au moins qu'il soit un peu utile pour le projet.

Je ne bronchai pas alors qu'il insultait EP-1. Je pris plutôt une grande gorgée de mon verre et grognai, fronçant les sourcils, lui jetant un regard méprisant.

« Tu devrais plutôt être reconnaissant qu'on t'aie sorti de ton trou plutôt que de mordre la main qui t'as nourri. »

Je pris une autre gorgée. Mon verre était presque vide. Remarquant ça, je le finis d'une traite.

« T'es qu'un ingrat. On t'offre une nouvelle et meilleure vie, et toi tout ce que tu trouves à faire c'est te plaindre. »

Je fis rapidement signe au barman pour qu'il me remplisse mon verre à nouveau, et il m'offrit une expression perplexe, hésitant. Je lui jetai un regard noir, et il s'exécuta.

« Tu mérites pas d'être ici, tu mériteras jamais d'être appelé un millitaire. »

Est-ce que j'exagérais? Oui. Est-ce que je m'en rendais compte? Pas tellement. Ce qu'il avait dit m'avait énervé, beaucoup plus que la serveuse de plus tôt.

Je serrai les dents. Encore un autre qui essayait de me faire me sentir mal parce qu'il avait eu une vie de merde. Ils ne réalisaient pas que tout le monde avait eu une vie de merde ici? Ils étaient tous stupides? Ils croyaient que tout le monde était ici de gaieté de coeur?

« Ah, pauvre petit chou! - je pris une nouvelle gorgée - C'est dur la vie hein? Tu veux un bisou magique peut-être, pour guérir tes pauvres petites blessures émotionelles? T'es qu'un pauvre con ma foi! Toi tu penses que parce que t'as connu un millitaire et que c'était un trou du cul, tous les millitaires sont des trous du cul? Toi tu crois que tout le monde sur cette île est un trou du cul, parce que toi tu t'es fait maltraité par un millitaire? Belle logique! Qu'est-ce que tu fous ici alors? Pourquoi t'vas pas te jeter dans la mer, plutôt que de rester avec tous ces connards qui t'entourent et qui vont probablement se mettre à te battre? »

C'est que les gens qui se plaignent, moi, je ne pouvais pas les saquer. Je pris une autre gorgée de mon verre, et me battis contre l'envie de lui mettre une gifle, là, maintenant, parce que ça serait beaucoup trop ironique par rapport à ce que je venais de dire.

Comment pouvait-il généraliser à ce point? Comment pouvait-il rabaisser tous les gens autour de lui, tous ceux qui s'étaient battus simplement pour qu'il puisse être ici aujourd'hui? Ceux qui étaient mort dans la guerre, ceux qui étaient mort quand EP-0 avait été attaquée, et ceux qui étaient mort quand elle avait été coulée? Liam, le pauvre gamin qui n'aurait pas fait de mal à une mouche, et qui était mort aujourd'hui? C'était un millitaire lui aussi! Il n'avait pas le droit, il n'avait pas le droit!

Je me levai, et le pris par le collet, mon visage à quelques centimètres du sien.

« T'as pas le droit de les insulter, t'as pas le droit! » sifflai-je.

Je m'attendais à ce qu'il me décroche de lui, qu'il me jette plus loin. Qu'il me frappe, qu'il m'insulte. Qu'il se mette en colère, qu'il me dise de me calmer, parce que j'étais beaucoup trop énervée. Je voulais qu'il fasse toutes ces choses, parce que je voulais avoir raison. Je voulais qu'il me prouve qu'il était tout ce que j'avais dit. Je m'attendais à ce qu'il me prouve ce que j'avais dis.

Mais ça, c'était la dernière chose à laquelle j'aurais pu penser.

Pourquoi il faisait ça? Pourquoi il me prenait dans ses bras, comme ça, pour aucune putain de raison? Je restai là un instant, choquée, les yeux écarquillés. La tête lourde à cause de l'alcool, je me sentais légèrement étourdie, et soudainement cette position me paru très, très confortable. Trop confortable. J'étais peut-être bourrée, mais pas à ce point.

Je posai mes mains à plat sur le torse de Joel, et le poussai légèrement, afin de briser l'étreinte. Je lui lançai un regard vitreux, mais dur. Je levai la main lentement et, d'un coup, le giflai. Beaucoup plus faiblement que je l'aurais voulu à cause de mon état, mais le giflai quand même.

« Tu me touche pas. »

Je reculai un peu, étant auparavant plutôt proche de l'homme qui me dépassait d'un peu moins qu'une tête. Je plantai mon regard dans le sien.

« C'est pas à moi qu'il faut que tu t'excuses. C'est à tous ceux qui se sont battus, tous ceux qui sont morts, et tous ceux qui se battent encore. »

Je pris mon verre, resté sur le bar, et le fini d'une traite. C'était le quatrième en si peu de temps, mais je m'en foutais. Rendue où j'étais maintenant, un verre de plus ou de moins, ça importait peu.

« Et à Liam. Et à Drew. Et à tous ceux qui sont morts quand EP-0 a été attaqué. À tous ceux qui sont morts et dont je ne me souviens même pas. À tous ceux qui font tout pour qu'on puisse vivre, qu'on puisse être formés, qu'on puisse être utile. »

Tous ces enfoirés qui m'empêchent de mourir.

« Drew est pas mort. C'est son petit frère qui l'est. Et tu crois que je suis la seule à avoir vécu ces trucs là? Tous ceux qui étaient sur EP-0 l'on vécu. Même ceux qui ne l'ont jamais connu ont perdu des êtres chers. On est sur une île millitaire. C'est comme ça qu'on vit. On connait les risques, et on se dit que ça en vaut quand même la chandelle. »

Je voulu prendre une gorgée d'alcool, mais je m'aperçus que mon verre était vide. Je le reposai sur le bar. Je plantai à nouveau mon regard dans celui de mon interlocuteur.

« Je n'ai pas plus souffert qu'un autre. »

Tu mens, Faith, et tu le sais bien. Tu crois que tout le monde a aussi envie de mourir que toi?

Ta gueule.

« Mes camarades, tous ceux des autres sections, nos supérieurs, ce sont des millitaires. Un soldat, c'est un millitaire. Et c'est pas parce qu'ils ont le même titre que ton père qu'ils sont comme lui. »

Je lève le bras, et pointe un doigt accusateur vers Joel. Mon regard, pour une fraction de seconde, affiche une lucidité farouche.

« Et j'te permettrai pas de les traiter comme ça. J'te permettrai pas de penser qu'un millitaire, c'est quelqu'un qui répand la tristesse et la douleur. Parce que tu n'as aucune idée de ce qu'ils doivent endurer tous les jours pour ta simple petite sécurité. Pour t'offrir une nouvelle vie, un nouveau départ, alors que tu ne voyais plus d'espoir. »

Et toi, t'en vois, de l'espoir, Faith?

Ta. Gueule.

Des mots. Que des mots. Des mots vides. Vides de sens, vides de réelles signification. Tellement faciles à dire, mais tellement difficiles à réellement penser.

« Je n'exprime pas ma peine. Je n'ai pas besoin que tu sois désolé pour moi. »

Je commandai un autre verre d'un geste, et il arriva rapidement. J'en pris une grande gorgée. Tout le monde souffre? C'était faux. C'était tellement faux. La souffrance, c'est pas une peine d'amour. La souffrance c'est pas la perte d'un être cher. La souffrance c'est d'être coincé dans un cul de sac, de regarder devant soi et de ne rien voir. De ne voir aucune issue, aucune lumière au bout du tunnel, rien. La souffrance c'est de garder la tête haute alors qu'on ne veut que ramper.

Alors la vie qu'on a la chance d'avoir... Ça, c'était une belle blague.

« T'as au moins une idée de ce que tu dis? La vie, c'est pas des poneys roses et des arcs-en-ciel. La vie, c'est froid, c'est cruel, c'est sale, c'est sans pitié. Vivre c'est pas une chance. Vivre c'est un fardeau dont on ne peut pas se délaisser. »

Je parlais trop. Foutu alcool.

Il se trompait. Il se trompait tellement. Il était à des kilomètres de la plaque. Et c'était ce que tout le monde avait toujours été. C'était pour ça que j'étais comme ça. Parce que tout le monde se trompait, personne ne comprenait. Personne n'avait pris le temps de comprendre.

Je laissai mes bras tomber le long de mon corps. À ce moment, j'aurais juste voulu m'écrouler, et mourir. Juste mourir, là, maintenant. Rien d'autre. Mourir. Je regardais le sol, un sourire triste sur le visage.

« Les gens qui m'aiment? »

Je relevai la tête vers Joel. Je plantai mon regard dans le sien. Un regard qui n'était qu'un gouffre. Un gouffre de tristesse, de désespoir.

De résignation.

« Lesquels, Joel? Lesquels? »

Je soutins son regard, ou plutôt il soutint le mien. Il ne pouvait tellement pas comprendre.

« Tu parles de la douleur que je ressens comme si tu la connaissait. Tu la connaît, Joel, la douleur d'être seule au monde, de n'avoir personne qui peut possiblement te comprendre? Tu la connaît, la souffrance de savoir que tout le monde est mauvais, au fond? Tu sais ce que c'est, de savoir qu'il n'y a rien pour toi dans ce monde, mais de vivre par devoir? Tu sais ce que c'est, de se détester parce qu'on est la seule personne à qui on ne peut pas cacher tout ce qu'on cache aux autres? Tu le sais, Joel? »

« Vraiment? »

Pas de la surprise, pas de la joie, pas de l'espoir dans ce mot.

More like disbelief.

Un mot juste froid, sans signification, de la résignation encore une fois. Juste un de plus qui croyait comprendre. Juste un ne plus qui ne pouvait même pas s'imaginer. Un de plus qui croyait pouvoir m'aider. Un de plus qui se trompait, qui se trompait tellement.

Il y avait longtemps que je n'étais plus rien. Il y avait longtemps que j'étais brisée, il y avait longtemps que j'avais arrêté de vivre et que j'avais commencé à survivre.

Avait-ce été la première fois qu'on avait fait semblant d'être mon ami, pour mieux me trahir et me blesser? Avait-ce été après avoir été la cible d'un énième regard dégoûté? Avait-ce été la première fois qu'on avait craché sur mon talent?

Avait-ce été au moment où j'avais compris que je ne pourrais jamais recevoir d'amour? Au moment où j'avais compris que j'étais condamnée à être seule pour toujours? Ou au moment où j'ai décidé que j'allais être seule pour toujours?

Avait-ce été quand j'ai réalisé que personne n'était et ne serait jamais une bonne personne? Que tout le monde avait toujours une intention personnelle derrière les actions qui pouvaient sembler simplement bonnes? Que rien n'était jamais spontané?

Ou avait-ce été la première fois que je m'étais regardé dans le miroir et que j'avais vu tout ce que l'on disait de moi?

« Laisse moi deviner. Tu sais ce que je ressens et tu penses que j'ai besoin d'aide, et que tu peux me l'apporter? »

Je le forçai à soutenir mon regard, un regard tellement dur, mais tellement vide.

« Et pourquoi, Joel? Pourquoi tu voudrais m'aider? Parce que tu trouves qu'on est tellement similaire? Parce que tu trouve que je fais tellement pitié? C'est de la bullshit, ça, Joel. Tu voudrais m'aider parce que ça va te faire te sentir mieux avec toi même. Parce que tu pourrais te dire que t'as aider quelqu'un, tu pourrais faire ta BA de la journée. »

Je jetai un regard du coin de l'oeil à mon verre sur le bar, et je le finis d'une traite. J'avais besoin de me sentir engourdie. De me sentir engourdie de toute la douleur que ces mots amenaient en moi.

« Mais moi je le sais, tout ça, Joel. Je le sais. Je sais que tu ne ferais ça que pour ton bien-être personnel. Ça, ou simplement pour avoir le plaisir de pouvoir me faire souffrir un peu plus. »

Tellement de fois j'avais été trahie. Tellement de fois on m'avait poignardé dans le dos. Alors je me protégeais. Je construisais mes murs si haut et si épais que personne ne pouvait les traverser. Je n'avais fait entrer qu'une seule personne en dix ans. Une seule personne, et elle n'avait fait que me détruire un peu plus.

Je n'étais plus assez naïve pour laisser les gens m'atteindre. Je n'étais plus assez naïve pour penser que même une seule personne n'allait jamais me faire de mal. Je n'étais plus assez naïve pour m'attacher, pour avoir beson de quelqu'un.

Ne t'en vas pas, je t'en supplie.

Plus il parlait, plus il me donnait raison. Plus il me donnait raison, plus je m'enfonçais dans la résignation. Juste un de plus. Un qui croit être différent, qui croit être celui qui fera la différence, un de plus qui se trompe. C'était toujours la même chose. Je soupirai. Un long, profond soupir.

« Parce que quelqu'un l'a fait pour toi? Donc, tu ne veux que faire ta bonne action pour rembourser la personne qui l'a fait pour toi. Et parce que tu ne te le pardonnerais pas, c'est pas une raison égoïste peut-être? C'est tout comme je l'ai dit. C'est tout comme c'est toujours. »

Je détournai les yeux lorsqu'il me regarda. Je ne voulais pas qu'il voit les larmes qui commençaient à les remplir. Je ne voulais pas qu'il voie à quel point ça me faisait mal qu'il soit comme les autres. Comme ça me faisait mal de voir que, finalement, contrairement à ce minuscule espoir qui s'insinuait en moi à chaque fois voulait que je pense, il n'y avait personne de différent. Ils étaient tous pareils.

Et c'était ma douleur, je ne voulais la partager avec personne. Elle était mienne, et je la connaissaîs dans le plus moindre des détails, c'était mon seul compagnon. Ma seule amie, une qui ne partirait jamais, qui ne me laisserait jamais. Au moins elle était bonne pour ça.

« À quoi bon souhaiter que je vive s'il n'y a que des intentions égoïstes derrière? Et puis ça ne me sert à rien de savoir ça. Je ne peux pas mourir de toute façon. C'est trop lâche, je dois ma vie à Experimental Project, et je compte bien la lui donner. »

Je m'éloignai d'un pas et chancelai, puis tombai. Je restai là, couchée sur le dos, à regarder le plafond. Je n'avais pas la force de me relever.

Relève moi et prends-moi dans tes bras, quémandait ce minuscule espoir que je n'arrivais jamais à supprimer.

Mon esprit ne trouva rien à redire.

J'avais l'impression que le temps était figé. Je n'entendais pas les gens autour. Je n'entendais que mes propres pensées. J'étais isolée dans un petite bulle qui me coupais du monde. C'était agréable et horrible à la fois. Agréable parce que c'était calme, mais horrible parce que j'étais seule. Ça ne changeait pas de d'habitude, mais maintenant il n'y avait personne, du tout. Je remarquais l'ampleur de ma solitude. L'ampleur de ma petitesse.

Puis, un contact. Un frisson partit du milieu de mon dos pour courir sur ma nuque et se propager dans tout mon corps. Ma bulle se brisa, laissant le son et la réalité entrer en moi dans une grande vague. On me souleva. Je me crispai et m'accrochai à la chemise de celui qui faisait ça. Il me fallu trois bonnes secondes avant de réaliser qui c'était.

Joel.

Je levai le regard vers lui. Les larmes coulaient sur mes joues et je ne m'en étais même pas rendue compte. Je n'essayai pas de me retenir. Même que j'enfouis ma tête contre le torse de mon porteur et me mis à sangloter avec force. Je n'étais pas dans mon état normal. J'étais trop soûle pour faire autrement. J'avais juste besoin de ça. Demain, tout reviendrais à la normale.

Mais là, j'avais juste besoin de quelqu'un.